L’apport-cession : une source de contentieux inépuisable

Article de Me Éric Chartier Avocat Associé au sein de Altitude Avocats

L’apport-cession, qui consiste à apporter les titres d’une société à une holding préalablement à leur vente, de façon à différer (sinon exonérer) l’impôt sur la plus-value, est une technique éprouvée de gestion de patrimoine.

Elle permet d’optimiser les conditions d’une vente, et ainsi de disposer d’un plus grand « reste après impôt » pour réaliser de nouveaux investissements.

On sait toutefois que si le réinvestissement n’est pas réalisé par la société holding dans des activités économiques, une telle opération est susceptible d’être regardée comme constitutive d’un abus de droit. La neutralité du régime d’apport est alors remise en cause par l’administration qui taxe la plus-value entre les mains de l’apporteur.

Cette analyse est d’abord ressortie de la jurisprudence du Conseil d’Etat, de laquelle on sait maintenant qu’une attention particulière doit être portée à la nature du réinvestissement, et les conditions dans lesquelles il se réalise. Mais, dans une approche « abus de droit », une telle analyse procède nécessairement du cas par cas.

La situation a évolué avec la légalisation du régime de l’apport-cession en 2012, et l’introduction dans le code général des impôts de l’article 150-0 B ter du CGI. Cet article prévoit que l’apport de titres à une société holding (soumise à l’IS) contrôlée par l’apporteur bénéficie d’un report d’imposition, qui expire dans certains cas. En particulier, le report prend fin si la société holding cède les titres dans les 3 années suivant l’apport, sauf si elle réinvestit, dans un délai de 2 ans, au moins 50% du prix de cession dans une activité économique. Cette dernière notion est cependant strictement encadrée par la loi.

Ce nouveau régime est vite apparu plus restrictif que la jurisprudence qu’il entendait pourtant légaliser, et dont officiellement il s’inspire. Des incertitudes sont ainsi apparues sur la portée exacte des investissements économiques tels que définis par le texte. Certaines ont été levées au gré de modifications législatives et des commentaires de l’administration, mais plusieurs questions demeurent non résolues, comme par exemple l’exigibilité d’un remploi dans une activité de location immobilière, éventuellement assortie de services, ou bien ce qu’il faut entendre exactement comme « moyens permanents d’exploitation ».

Par ailleurs, l’article 150-0 B ter réintroduit dans notre système législatif la notion de report d’imposition, qui se distingue du sursis (article 150-0 B du CGI) par le fait que la plus-value est, dès l’apport, matérialisée et l’impôt établi. L’administration en concluait à l’impossibilité d’assurer une neutralité fiscale en cas d’apports successifs. Cette approche a heureusement été censurée.

Il n’en demeure pas moins que, par l’effet de ce dispositif original, une plus-value constatée à l’occasion d’un apport à une holding, opération en principe « intercalaire » (simple échange de titres), peut se trouver fiscalisée en fonction du sort réservé par la société holding à ces titres (vente ou conservation) et, le cas échéant, au produit de cession. Si ce régime de neutralité a pu être valablement remis en cause dans une approche « abus de droit », il est permis de s’interroger sur le bien-fondé d’une remise en cause davantage systématique (tirée du non-respect des conditions de l’article 150-0 B ter), notamment à l’aune de la réglementation communautaire (directive « Fusions »).

Éric CHARTIER
Avocat Associé
Altitude Avocats
Intervenant à la conférence « Gestion du patrimoine du dirigeant », le mardi 13 novembre 2018 à Paris

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