Cessions d’immeubles et TVA sur la marge : la condition d’identité juridique du bien est validée par le Conseil d’Etat

Dans un récent arrêt en date du 23 janvier 2020 (CE 27 mars 2020, n° 428234 « Promialp») le Conseil d’Etat vient de confirmer l’exigence d’une condition d’identité juridique pour l’application du régime de TVA sur marge prévu à l’article 268 du CGI.

Pour rappel, les ventes de terrains à bâtir et d’immeubles anciens bâtis (pour lequel l’option à la TVA a été exercée) qui sont effectuées par des assujettis sont soumises à la TVA sur le prix total de la cession en application des dispositions de l’article 266 du CGI.

Toutefois l’article 268 du CGI prévoit de façon dérogatoire que le régime de la TVA sur la marge s’applique lorsque les immeubles cédés n’ont pas ouvert droit à déduction de la TVA lors de leur acquisition.

En ce qui concerne la question du régime de TVA applicable, l’administration avait adopté par le passé une position particulièrement restrictive lors des opérations de contrôle. Elle considérait, en effet, que pour que la TVA sur la marge s’applique, il convenait selon elle que le bien revendu soit identique au bien acquis physiquement et juridiquement.

Cette position avait été confirmée fin 2016 par plusieurs réponses ministérielles (Rép. Bussereau AN 20 septembre 2016 n°96679 ; Rép. Savary AN 20 septembre 2016 n°94538 ; Rép. De La Raudière AN 30 août 2016 n°94061 ; Rép. Carré AN 30 août 2016 n°91143) qui avaient semé l’inquiétude chez les professionnels de l’immobilier.

Cette prise de position de l’administration a été toutefois censurée par certains juges de l’impôt. Saisi de la question, le Tribunal administratif de Grenoble a jugé en se tenant semble-t-il à la lettre de la loi, que la seule condition d’application du régime de la TVA sur marge tenait à l’absence de droit à déduction de la TVA d’amont lors de l’acquisition du bien (TA de Grenoble 14 novembre 2016 n° 1403397 SARL Gepim Habitat jugement devenu définitif ; voir également TA de Montpellier 4 décembre 2017 n° 1602770 SARL R. pour solution identique).

Par une réponse « Vogel » (Réponse Ministérielle « Vogel » : Sénat 17 mai 2018 n° 4171) l’administration est venue par la suite assouplir sa position en admettant que la TVA due au titre de la vente d’immeuble soit calculée sur la marge même si le bien revendu diffère physiquement du bien acquis, notamment s’il est divisé en vue de la revente en plusieurs lots.

La réponse « Vogel » précise que dans le cas de l’acquisition d’un terrain ou d’un immeuble répondant aux conditions de l’article 268 du CGI, qui n’a pas ouvert droit à déduction, par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente en plusieurs lots, que ces ventes puissent bénéficier du régime de la TVA sur marge dès lors que seule la condition d’identité juridique est satisfaite. L’administration précise que cette position s’applique aux opérations en cours.

En revanche, la réponse précitée refusait toujours l’application de la TVA sur la marge en cas de modification de la nature juridique de l’immeuble cédé et notamment dans le cas de la revente comme terrain à bâtir de la parcelle comprenant un immeuble bâti après démolition de ce dernier.

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat vient apporter des précisions concernant la condition d’identité.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, une société ayant la qualité de « marchand de biens » avait acquis un terrain bâti sur lequel était édifié un immeuble avant de procéder à sa démolition et division parcellaire. La société a par la suite revendu des parcelles de terrains à bâtir issues de ces opérations.

L’administration fiscale avait remis en cause l’application de la TVA sur la marge. Saisie du litige, la Cour d’appel avait donné raison à la société et validé l’application de la TVA sur la marge à la revente en considérant sans incidence la modification des caractéristiques physiques et de la qualification juridique du bien entre l’acquisition et la revente.  

Le Conseil d’Etat vient invalider cette position. Interprétant l’article 268 du CGI à la lumière de la directive qu’il transpose en droit français (Art. 392, Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006), le Conseil d’Etat considère que la modification des caractéristiques physiques et juridiques du bien faisait obstacle à l’application de la TVA sur marge.

Sur ce point, il convient de noter que si le Conseil d’Etat casse la décision de la Cour d’appel en ce qu’elle a permise l’application de la TVA sur la marge sans rechercher si le bien avait fait l’objet de modifications tant physiques que juridiques. La solution doit être comprise à la lumière de la réponse « Vogel » précitée qui ne retient plus la condition d’identité physique mais la seule condition d’identité juridique.

L’arrêt commenté vient donc sécuriser les opérations de lotisseurs ou aménageurs. Ces derniers pourront ainsi toujours donc procéder à des divisions parcellaires de terrains à bâtir (sans procéder à des démolitions) avant la revente en collectant une TVA réduite sur la marge dès lors que l’acquisition initiale des terrains n’aura pas ouvert droit à déduction de la TVA.

On ne peut que se féliciter de ces précisions venant sécuriser les opérations en cours en cas de modification de la doctrine.

Rémi Castebert
Avocat à la cour
JFA Souillac

Intervenant au sein des conférences EFE