Actualité du contentieux fiscal des marchands de biens : La vente d’un immeuble construit 10 ans après l’achat du terrain n’est pas spéculative

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Dans un récent arrêt en date du 5 juillet 2019 (CAA Paris 5 juillet 2019 n° 17PA22522, Sté Barbadine) la Cour Administrative d’Appel de Paris juge que la revente d’un immeuble construit 10 ans après l’achat du terrain ne permet pas de conclure à l’existence d’une « intention spéculative » lors de cette acquisition.

Si la majorité des opérations immobilières réalisées par des sociétés civiles immobilières (SCI) répondent des de simples objectifs de gestion d’un patrimoine immobilier, Il arrive cependant régulièrement que l’administration fiscale considère que certaines opérations réalisées par des SCI revêtent le caractère d’opérations spéculatives  conduisant à requalifier l’activité de la SCI en activité commerciale de marchand de biens au sens de l’article 35 du Code Général des Impôts (CGI) conduisant notamment à l’assujettissement de la SCI à l’impôt sur les sociétés et lui interdisant donc  de bénéficier de l’abattement pour durée de détention lors du calcul de la plus-value de vente de l’immeuble.

Pour rappel, l’article 35 du code général des impôt dispose que :

« […] présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières ou qui, habituellement, souscrivent, en vue de les revendre, des actions ou parts créées ou émises par les mêmes sociétés. »

Ainsi, les personnes physiques ou les SCI qui achètent habituellement des immeubles en vue de les revendre sont donc susceptibles d’être qualifiées de « marchand de biens ».

Pour être qualifié de « marchands de biens », deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • La condition de l’habitude : cette condition doit s’apprécier en fonction du nombre et du rythme des ventes d’immeubles. L’importance des ventes est également prise en compte. Par exemple, relève du régime des marchands de biens, en raison de la fréquence (nombre, rapprochement) et de l’importance des opérations une personne qui a, entre 1936 et 1951, compte non tenu de deux ventes comportant déclaration de command, procédé à vingt-neuf opérations immobilières, dont 14 acquisitions et 15 reventes (CE 18-6-1955 n° 20497) ; deux contribuables bijoutiers qui, entre 1962 et 1964 : ont acquis par 12 opérations distinctes des immeubles bâtis, des parties de tels immeubles, des terrains et des parts d’une SCI ; ont revendu, par 38 opérations, certains de ces immeubles ou des lots de ces immeubles ; ont également fait apport d’un fonds de commerce à une société ayant pour objet le commerce des biens (CE 7e – 9e s.-s. 3-5-1972 n° 81639 et 81640).
  • L’intention spéculative : c’est-à-dire qu’il est nécessaire de démonter qu’au moment de la vente, le contribuable ou la SCI avaient l’intention de revendre le ou les biens acquis à brève échéance afin de générer un profit.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, une SCI, qui a pour objet la location de biens immobiliers, avait acquis un terrain nu en 1994. En 2004, soit 10 ans plus tard, celle-ci y a fait construire deux bâtiments comprenant six appartements et un local commercial. Elle met en location le local commercial et cède les six logements, en 2004 et 2005, en se plaçant sous le régime d’imposition des plus-values des particuliers.

Suite à la vérification de comptabilité de la SCI, l’administration fiscal lui notifie un redressement, considérant que le produit de ces ventes doit être imposé à l’impôt sur les sociétés dès lors que selon elle cette opération d’acquisition construction et revente devait s’analyser comme une opération de « marchand de biens ».

Dans cette affaire et contrairement aux juges de première instance qui avaient confirmé le redressement, la cour administrative d’appel de Paris estime que les deux critères cumulatifs pour que la SCI soit qualifiée de marchand de biens, à savoir le caractère habituel des opérations d’achat/vente et l’intention spéculative au jour de l’acquisition du bien revendu, ne sont pas remplis.

Pour fonder leur décision, les juges se sont basés sur le fait que la construction des immeubles cédés avait été réalisée presque 10 ans après l’acquisition du terrain par la SCI et sur le fait que la SCI n’avait réalisé aucun bénéfice sur cinq des six lots vendus.

Son intention spéculative au jour de l’acquisition du terrain en 1994 n’est donc pas établie.

Il semble que les juges retiennent ici le critère classique du délai séparant l’achat de la revente pour apprécier l’intention spéculative du cédant au jour de l’acquisition de l’immeuble. Il semble donc que l’on puisse en déduire qu’un délai suffisamment long (dont la longueur exacte devra encore être précisée) empêcher que soit remplie la condition d‘habitude.

Dans l’arrêt commenté, la CAA note, par ailleurs, que la SCI n’avait pas réalisé d’autres opérations de ce type depuis sa création. On devrait donc pouvoir en déduire qu’au cas particulier, la CAA de Paris a considéré que la condition d’habitude n’était pas non plus remplie en l’espèces, dans la mesure non remplie en l’espèce.

Cette décision constitue un rappel particulièrement bienvenu dans la mesure où le contentieux de la requalification d’opérations immobilières en activité de « marchand de biens » constitue une source de contentieux récurrent, source d’enjeux financiers très importants.


Rémi Castebert
Avocat à la Cour
JFA Souillac Avocats

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