Actionnariat salarié, management package et transmission d’entreprises

La transmission d’entreprises est souvent l’occasion d’associer les salariés et dirigeants au capital de cette dernière. Tantôt car le repreneur se trouve conforté par l’investissement actionnarial de ces salariés à ses côtés, gage d’une forme d’alignement des intérêts salariaux et actionnariaux. Tantôt car ces managers sont véritablement la clé de voûte et les acteurs centraux de la transmission.

Pour ce faire la loi et les praticiens ont conçu divers instruments économiques et juridiques.

La philosophie sous jacente est assez constante : des investisseurs financiers, non impliqués dans la gestion opérationnelle, acceptent, une fois un rendement minimal atteint, de partager une sur-performance financière avec des salariés et dirigeants devenus pour la circonstance associés ou attributaires de titres optionnels.

Les outils employés sont de deux types. Tantôt il s’agit d’instruments gratuits encadrés par la loi et pourvus d’un régime fiscal spécifique (les actions gratuites, les BSPCE, les options de souscription ou d’achat d’actions). Tantôt l’on recourt à des outils souscrits à titre onéreux dont le régime fiscal est plus incertain (bons autonomes ou BSA, actions de préférence, bons ratchet dont le profil de gain ne déclenche qu’à l’atteinte d’un rendement minimal servi aux financiers, promesses croisées d’achat/vente de titres, voire de simples achats d’actions logées en PEA ou financés via une société de salariés endettée …), et plus généralement les opérations combinent ces divers outils. La jurisprudence (CE, 18 janvier 2006, n° 265791) est venue consacrer une sorte de principe protecteur des salariés puisqu’elle admet que la qualité de dirigeant ou salarié n’est pas incompatible avec celle d’associé et ne dénature pas le gain actionnarial en salaires ou revenus d’activité : encore faut il que ces managers prennent un véritable risque en capital à l’instar de tout associé et que les instruments qu’ils se voient attribués ne soient pas un simple accessoire à leur contrat de travail. La jurisprudence récente en fournit des illustrations.

Ainsi le Conseil d’Etat (CE, 15 février 2019, n° 408867, concl. E Cortot-Boucher) requalifie et impose en salaire une partie de la plus-value réalisée par un dirigeant qui avait cédé, en même temps que son associé financier, des actions de même nature mais à des prix distincts : en l’espèce le dirigeant avait bénéficié d’une rétrocession de plus-value de la part de l’investisseur financier en exécution d’une convention de partage de plus-value récompensant l’implication opérationnelle du manager et l’atteinte de seuils minimaux de performance financière par l’investisseur.
C’est la raison encore pour laquelle la cour de cassation (Cass. Civ II 4 avril 2019, n° 17-24.470) assujettit aux cotisations sociales le gain de cession de bons autonomes qui n’était qu’un accessoire du contrat de travail de managers, ou assimile à un salaire soumis à cotisations sociales le gain issu de la vente par des salariés d’actions souscrites à des conditions préférentielles (Cass. Civ II, 18 fév. 2010, n° 08-20.547).

C’est enfin l’explication à la vigilance de l’administration exercée à l’endroit des valeurs d’inscription d’actions en PEA, ordonnant la clôture du plan lorsqu’elle estime que les parties ont inscrit en PEA des actions à des prix de convenance pour contourner la règle de plafonnement du PEA, ou s’agissant de l’appréciation du juste prix déboursé par un manager pour souscrire ses titres de package (des BSA ratchet en l’occurrence), ainsi que l’illustre un récent avis du comité de l’abus de droit (Avis CADF n° 2018-16 du 28 sept 2018).

Jean-Louis Médus
Avocat à la Cour
Archers avocats
Membre de l’IACF, Professeur Agrégé des Universités

Intervenant à la conférence « Pacte Dutreil transmission / Transmission d’entreprise  » jeudi 20 et 21 juin 2019 à Paris

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