Le défaut de facture n’est pas un obstacle en soi à la déduction de la TVA

La CJUE juge qu’à défaut de pouvoir produire des factures, un assujetti est néanmoins tenu de fournir des preuves objectives que des biens et des services lui ont effectivement été fournis en amont par des assujettis, pour les besoins de ses propres opérations soumises à la TVA, et à l’égard desquels il s’est effectivement acquitté de la TVA. La CJUE juge à cet égard qu’une estimation résultant d’une expertise judiciaire peut compléter lesdites preuves ou renforcer leur crédibilité, mais non pas les remplacer.

Pour rappel, l’exercice du droit à déduction de la TVA est subordonné à des conditions formelles et à des conditions de fond (ou conditions matérielles). S’agissant des conditions formelles, le redevable doit justifier de la taxe ayant grevé les biens ou services et donc être, en principe, en détention de la facture correspondante comportant toutes les mentions obligatoires (article 289 du CGI). Concernant les conditions de fond, l’intéressé doit être un assujetti qui acquiert des biens ou des services, utilisés en aval par lui pour les besoins de ses propres opérations taxées, et livrés ou rendus par un autre assujetti.

En ce qui concerne plus particulièrement les conditions de forme, l’administration fiscale a toutefois admis que la seule omission ou inexactitude de l’une des mentions obligatoires sur la facture n’entraîne pas nécessairement la remise en cause de la validité de la facture pour l’exercice des droits à déduction de la taxe dès lors que l’opération est justifiée dans sa réalité et qu’elle satisfait par ailleurs aux autres conditions posées pour l’exercice du droit à déduction (BOFIP-BOI-TVA-DED-40-10-10 n° 55). De même, la CJUE a jugé que le droit à déduction de la TVA ne peut être refusé au seul motif que la facture n’est pas conforme (du fait de l’omission ou de l’inexactitude de certaines mentions devant figurer sur la facture), dès lors que l’administration fiscale dispose de toutes les informations nécessaires pour vérifier que les conditions de fonds sont remplies (CJUE 15 septembre 2016 aff. 516/14 et 518/14, Barlis 06 et Senatex).

Dans le présent arrêt, la CJUE semble confirmer son inclinaison pour une approche moins formaliste en matière de TVA en jugeant que l’absence même de facture n’est pas non plus en soi de nature à faire obstacle au droit à déduction de la TVA sous réserve que les conditions de fond soient remplies par ailleurs.

Dans les faits, un promoteur immobilier a effectué 29 transactions immobilières en 2006 et 70 transactions immobilières de 2007 à 2009. Le montant total des opérations s’est élevé à plus de 4 millions d’euros.

Dès le mois de juin 2006, le promoteur avait dépassé le plafond légal d’exonération de la TVA et l’administration fiscal a considéré qu’il avait la qualité d’assujetti à la TVA à compter du 1er août 2006. De sorte qu’elle a mis en recouvrement plus de 1,2 millions d’euros au titre de la TVA due pour la période comprise entre le 1er août 2006 et le 31 décembre 2009, incluant majorations et intérêts de retard.

Le promoteur ne disposait d’aucune facture et les autres documents (tickets de caisse) étaient illisibles. Toutefois, il se prévalait également d’une estimation du montant de TVA déductible résultant d’une expertise judiciaire par laquelle l’expert était chargé d’évaluer ce montant en se fondant sur la quantité de travaux effectués ou la main-d’œuvre employée et nécessaires à la construction des bâtiments vendus par le promoteur.

La Cour juge que l’assujetti qui prétend à son droit à déduction de la TVA doit, à défaut de pouvoir fournir des factures, justifier qu’il remplit les conditions de fond par la production de preuves objectives, lesquelles peuvent comprendre des pièces se trouvant en possession de fournisseurs ou de prestataires auprès desquels l’assujetti a acquis des biens ou des services pour lesquels il a acquitté la TVA.

Il en résulte que le droit à déduction de la TVA peut être reconnu à un assujetti qui ne dispose pas de factures, mais qui est en mesure de justifier du respect des conditions de fonds par la production d’un autre document qu’une facture conforme au sens classique, c’est-à-dire par la production de preuves objectives.

A notre sens, la notion de preuves objectives pourrait s’entendre de la simple photocopie de la facture, du devis, du bon de commande, du bon de livraison, du contrat, d’une attestation émanant du fournisseur ou bien encore d’un ticket de caisse.

Toutefois, en l’état, à défaut de précisions supplémentaires qui pourront être apportées par le juge ou l’administration fiscale, il convient de garder à l’esprit que la facture d’achat demeure le moyen idéal pour se ménager la preuve du bien-fondé de son droit à déduction de la TVA.

CJUE 21 novembre 2018 aff. 664/16, Lucreţiu Hadrian Vădan

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Rémi Castebert
Avocat à la cour
JFA Souillac

Intervenant au sein des conférences EFE

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