Financements intra-groupes : peut-on encore déduire ses charges financières ?

Article de Me Thomas PERROT, Avocat Associé, SKADDEN ARPS MEAGHER & FLOM LLP

Le projet de loi de finances pour 2018 présenté par le gouvernement prévoit l’abrogation du dispositif d’encadrement de la déductibilité des charges financières afférentes à l’acquisition de certains titres de participation, plus connu sous le nom « d’amendement Carrez ».

Cette suppression, motivée par des doutes sur la compatibilité du mécanisme avec le droit communautaire, s’inscrit en porte-à-faux avec l’inflation récente des normes française et européennes venant limiter la déduction des intérêts supportés par les entreprises qui financent leurs opérations par emprunt. En pratique, au sein des groupes et compte tenu de l’importance des financements internes, la source la plus fréquente de contentieux avec l’administration fiscale dans ce domaine réside dans l’appréciation du taux de marché, qui sert de borne à la déductibilité des charges financières.

L’article 212, I, a du code général des impôts (CGI) prévoit en effet que les intérêts afférents aux sommes mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée ne sont déductibles, en principe, qu’à concurrence de ceux calculés par application d’un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d’une durée initiale supérieure à deux ans, visé à l’article 39, 1, 3° du même code. Les contribuables conservent néanmoins la faculté de retenir comme limite de déductibilité le taux qu’ils auraient pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. Compte tenu de la relative faiblesse du premier taux (1,59 % pour le troisième trimestre 2017), les groupes sont généralement amenés à utiliser le second, à savoir le taux de marché, comme référence pour leurs prêts intra-groupes, ce qui soulève la question de son calcul en pratique. A cet effet, l’administration fiscale a indiqué que la preuve de la normalité du niveau des intérêts facturés peut être considérée comme rapportée « si l’entreprise justifie, par exemple, d’une offre de prêt à la date à laquelle cet emprunt a été contracté« [1].

Présentée comme une modalité possible, mais non-exclusive, de démonstration du taux de marché, l’offre de prêt d’un établissement bancaire est, à l’expérience, trop souvent conçue par les services vérificateurs comme la seule forme de preuve acceptable. Cette lecture excessivement étroite de la doctrine administrative est d’autant plus regrettable que les difficultés pratiques d’obtention d’une telle offre de prêt rendent son utilisation très hypothétique. Le format des financements intra-groupe, en premier lieu, diffère généralement significativement de celui des crédits bancaires, qu’il s’agisse de la maturité, des modalités de tirage, des clauses de remboursement anticipé, du traitement des cas de défaut, des engagements de l’emprunteur, des sûretés et de la documentation contractuelle, pour ne citer que quelques éléments caractéristiques, de sorte qu’il est particulièrement malaisé pour un groupe d’obtenir une offre de financement provenant d’un tiers suffisamment similaire à celui envisagé en interne pour autoriser une comparaison des taux de rémunération de chacun d’entre eux. Les banques, au demeurant, ne sont pas dupes lorsque leurs clients viennent leur demander de leur soumettre de telles offres, et on ne peut guère leur reprocher de renâcler à engager des frais en vue de monter une proposition commerciale dont elles savent par avance qu’elle ne sera pas acceptée.

A défaut d’une telle offre, les entreprises peuvent espérer se protéger en réalisant une étude économique des taux de marché, en fonction des caractéristiques du prêt considéré, du profil de l’emprunteur et de la qualité des sûretés offertes, mais sans garantie aucune qu’elles soient acceptées par les services vérificateurs

Quelques décisions récentes permettent d’illustrer les difficultés concrètes auxquelles les entreprises font face, et les réponses contrastées qu’ont apportées les juridictions jusqu’à présent.

Dans le cadre d’une opération de LBO, tout d’abord, la cour administrative d’appel de Bordeaux[2] a examiné la situation de la SNC Siblu, à raison des avances que lui avaient consenties la société mère du groupe, Siblu Holding et une autre société liée, Siblu Finance. Siblu Holding et Siblu Finance avaient elles-mêmes contracté des emprunts auprès de la banque Barclays et prêtaient une partie des fonds ainsi levés à la SNC Siblu, au même taux que celui auquel elles-mêmes s’étaient endettées. En l’absence de production d’une offre de prêt d’un établissement bancaire, la cour n’a pas jugé que cette circonstance – SNC Siblu payait, en fin de compte, le même intérêt que celui que sa société mère devait à un prêteur tiers – était suffisante à établir la normalité de la rémunération des avances, ni non plus des études professionnelles, émanant de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC), qui prouvaient que l’intérêt supporté par la SNC Siblu était conforme aux taux moyens des financements pratiqués sur la période considérées pour des opérations comparables, arguments qui avaient pourtant convaincu le tribunal administratif en première instance.

En faveur du contribuable, cette fois, le tribunal administratif de Montreuil[3] a estimé que les services fiscaux ne sont pas fondés à exiger d’un contribuable la production d’une offre de prêt contemporaine des financements en cause pour justifier le niveau des rémunérations afférentes, cette démonstration pouvant être établie par la production d’études décomposant les taux pratiqués en ses trois composantes, le swap taux variable / taux fixe, la prime d’annulation et la marge de crédit.

Une clarification du Conseil d’Etat sur la méthodologie acceptable en la matière serait donc la bienvenue. Un premier pas a été fait en ce sens à l’occasion d’une affaire dans laquelle la Haute juridiction a jugé que l’appartenance de l’emprunteur à un groupe n’impliquait pas que le premier doive être regardé comme bénéficiant d’une garantie implicite du second justifiant de réduire le taux déductible de référence[4]. Mais le chemin qui reste à parcourir est encore long…

[1]      BOI-IS-BASE-35-20-10-20130329, n° 110.

[2]      CAA Bordeaux, 4 avril 2007, n° 15BX01177, SNC Siblu.

[3]      TA Montreuil, 30 mars 2017, n° 1506904, Société BSA.

[4]      Conseil d’Etat, 19 juin 2017, n° 392543, min. c/ Sté General Electric France.

thomas perrotThomas PERROT
Avocat Associé
SKADDEN ARPS MEAGHER & FLOM LLP
Intervenant à la conférence « Redressements fiscaux », le mardi 28 novembre 2017 à l’hôtel Mariott Champs Elysées , Paris 8ème.

 

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