Actualité des réévaluations libres des immeubles par ses sociétés de personne : Le Conseil d’Etat abandonne la jurisprudence « Lupa »

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Article rédigé par Rémi Castebert, Avocat à la Cour – JFA Souillac Avocats

Dans un arrêt très attendu du 24 avril 2019 (CE 24 avril 2019 n°412503 « Société Fra SCI »), la formation plénière du Conseil d’Etat est revenue sur la solution adoptée dans son arrêt « Lupa ». Cet arrêt avait, à l’époque, fait l’objet d’un nombre important d’interrogations. Dans cette décision, la Haute Juridiction rappelle que pour éviter une double imposition du même gain, les jurisprudences « Quemener » et « Barradé » exigent qu’en cas de dissolution d’une société de personnes possédant un immeuble dont les titres ont été acquis pour une valeur proche de celle de l’immeuble social, la plus-value dégagée à cette occasion sur l’immeuble social puisse se compenser avec la moins-value réalisée à raison de l’annulation des parts sociales.

Pour rappel, dans cette affaire, la société Fra SCI détenait les titres de la SCI Foncière Costa, dont l’objet était de détenir et donner à bail un ensemble immobilier. Le 21 décembre 2009, la société Fra SCI a décidé de la dissolution sans liquidation de cette société avec une date d’effet anticipée, fixée au 1er décembre 2009, après que celle-ci ait procédé à une réévaluation libre de son actif. Cette dernière opération a fait naître un profit de réévaluation d’un montant de 13 992 563 €, portant la valeur de l’actif à 15 810 000 €. La plus-value ainsi générée au niveau de la SCI a néanmoins été compensée par la moins-value résultant de l’annulation des titres de cette dernière, du même montant, en application des principes posés par la décision « Quéméner ».

Comme dans l’affaire « Lupa », l’administration fiscale avait, dans un premier temps, remis en cause l’opération sur le fondement de l’abus de droit avant d’y renoncer.

Par un arrêt du 17 mai 2017 (que nous avions déjà commenté sur ce blog), la CAA de Paris avait validé la position de l’Administration et refuse à la société Fra SCI le droit de fixer le montant de la plus ou moins-value qui résulte de l’annulation des titres de la SCI Foncière Costa en majorant la valeur initiale des titres de l’écart de réévaluation.

La Cour avait fondé sa position sur le fait que lorsqu’une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes de personnes procède à la réévaluation de son actif immobilisé avant d’être dissoute sans liquidation, l’application de la jurisprudence « Quémener » est subordonnée à l’existence d’une double imposition effective entre les mains de la société qui procède à la dissolution.

En application de la jurisprudence dite Quémener (CE, 16 février 2000, n° 133296), la plus-value de cession de parts d’une société de personnes non soumise à l’IS fait l’objet d’un mécanisme de correction. Ainsi, le prix de revient fiscal des parts est fixé à partir de leur valeur d’acquisition, majorée du montant des bénéfices précédemment imposés entre les mains de l’associé et des pertes comblées par celui-ci, et minorée des bénéfices répartis et des pertes qu’il a déduites. Cette jurisprudence assure donc une neutralité fiscale aux associés de sociétés de personnes en tenant compte de leur translucidité fiscale. Est ainsi évitée la double imposition ou double déduction entre les mains desdits associés.

Dans l’arrêt commenté, la formation plénière du Conseil d ‘Etat énonce donc de façon claire que pour éviter une double imposition du même gain, les jurisprudences « Quemener » et « Barradé » exigent qu’en cas de dissolution de la société de personnes possédant un immeuble dont les titres ont été acquis pour une valeur proche de celle de l’immeuble social, la plus-value dégagée à cette occasion sur l’immeuble social puisse se compenser avec la moins-value réalisée à raison de l’annulation des parts sociales. La condition de double imposition effective disparait donc et cela est heureux.

Il en résulte donc que le fait que les plus-values de cession des parts sociales n’aient pas été soumises à l’impôt en France en application des stipulations d’une convention fiscale attribuant le droit d’imposer à l’Etat du cédant, ne justifie donc pas qu’il soit dérogé à ce principe.

Cette solution nous semble logique, dans la mesure où adopter une position différente reviendrait à aller à l’encontre des correctifs dégagés dans les jurisprudences précitées. Ceci créerait en outre une double imposition économique au détriment de l’immense majorité des contribuables concernés (tous ceux qui ne peuvent pas se prévaloir des stipulations conventionnelles favorables comme c’était le cas au cas particulier avec la convention fiscale la franco-luxembourgeoise dans sa version antérieure à 2009).

On ne peut que se féliciter de cette décision d’autant que la décision « Lupa », très critiquée, avait jeté le doute quant à la sécurité juridique et fiscale d’une une opération pourtant communément admise par la pratique, de nombreuses fois confirmée par l’administration (notamment rescrit RES n° 2007/54 (FE) du 11 décembre 2007 publié au BOFiP). Cette opération, qui permettait de neutraliser la plus-value latente sur l’immeuble hérité d’un précédent cédant à l’issue de la TUP de la SCI propriétaire de l’immeuble. Sur ce fondement, la cession sans décote de fiscalité latente des SCI était devenue une pratique de marché courante.

Si l’on ne peut que se féliciter de cette décision, il faudra toutefois attendre les commentaires précis sur l’affaire et leur analyse plus détaillée de la part de l’administration. On peut cependant déjà anticiper que ce revirement pourrait entraîner une révision de la pratique des décotes lors de la cession de sociétés translucides, notamment des SCI.

Rémi Castebert
Avocat à la cour
JFA Souillac Avocats

Intervenant au sein des conférences EFE