État des lieux des redressements fiscaux au sein des entreprises

Interview de Me Thomas PERROT avocat associé au sein de Skadden Arps Slate Meagher & Flom LLP.

[Boris Massoutier] Quels ont été les principaux chefs de redressements que vous avez pu constater dans votre pratique cette année ?

Plusieurs tendances se dégagent, avec en premier lieu une attention toujours soutenue portée par l’administration sur les transferts de bénéfices vers l’étranger, au sein des groupes multinationaux. La justification des politiques de prix de transfert représente bien entendu une part significative des redressements, notamment en ce qui concerne les transferts ou mises à disposition d’actifs incorporels. Mais de façon croissante les services fiscaux remettent aussi en cause les restructurations internes aux groupes qui ont pour effet de réduire les risques et fonctions dévolus aux filiales françaises ; par exemple, la situation fréquente d’une filiale française qui assurait jusque-là le rôle d’un acheteur-revendeur mais qui se voit transformée en simple distributeur à risques limités, et dont la rémunération – et par voie de conséquence la charge fiscale – est réduite en conséquence. Les fondements des redressements peuvent varier – abus de droit ou acte anormal de gestion – mais dans la plupart des cas les vérificateurs reprochent au contribuable de s’être départi de sa clientèle sans contrepartie ou, après transformation, de rendre des services au groupe qui excèdent ceux attendus d’un simple distributeur, sans recevoir une rémunération appropriée. Un autre sujet de contentieux récurrents a trait à l’identification par l’administration d’établissements stables en France de sociétés étrangères, du fait d’activités exercées pour leur compte par une autre société française du groupe ; la jurisprudence récente rend compte d’ailleurs de l’augmentation des contentieux sur ce thème.

Par ailleurs, un nombre toujours significatif de redressements concerne le financement des entreprises, notamment sous forme de prêts intra-groupe. Il s’agit bien entendu du niveau auquel le taux d’intérêt doit être fixé, qui suscite depuis plusieurs années un abondant contentieux, mais l’administration porte maintenant son attention sur les autres dispositifs qui encadrent la déduction des charges financières et que le législateur a introduits dans notre code plus récemment. Le respect des règles anti-hybrides par exemple, est de plus en plus souvent contrôlé : le contribuable doit alors démontrer que le prêteur est soumis à une imposition minimale, sur les intérêts reçus, égale à un quart au moins du taux de l’impôt français. En pratique, cette démonstration est souvent difficile à établir lorsque le prêteur est un fonds d’investissement, et plus encore lorsque ce fonds compte lui-même d’autres fonds parmi ses investisseurs. D’autre part, les services vérificateurs font parfois une lecture très large de ce dispositif en présence de prêteurs bénéficiant de certains régimes favorables, comme la faculté, en Belgique, de déduire un intérêt notionnel, ou encore lorsque ces prêteurs se refinancent auprès d’autres entités elles-mêmes exonérées d’impôt.

Voyez-vous apparaître de nouveaux sujets de préoccupation de la part de l’administration fiscale ?

Il y en a beaucoup, d’autant plus que les obligations des contribuables se sont accrues au fil des dernières lois de finances et que les services vérificateurs se sont pleinement saisis des nouveaux outils ainsi mis à leur disposition. On note par exemple une recrudescence de redressements liés à l’absence du fichier des écritures comptables (FEC) ou au mauvais fonctionnement de celui-ci en début de vérification de comptabilité, voire de remise en cause de celui-ci lorsqu’il n’a pas été établi de façon contemporaine aux opérations qu’il retrace ; alors que jusqu’à l’année dernière l’administration semblait faire preuve de mansuétude en acceptant un délai dans la présentation ou dans la reconstitution du FEC, elle n’hésite plus maintenant à appliquer les sanctions prévues par la loi. De même, la documentation de la piste d’audit fiable en matière de factures TVA, est maintenant contrôlée avec une rigueur beaucoup plus marquée et les manquements commencent à être sanctionnés alors que jusqu’il y a encore peu, les vérificateurs se contentaient d’un avertissement.

Que pensez-vous de ce projet de loi de finances ?

Sur certains plans, le projet de loi de finances est en retrait par rapport aux ambitions affichées par le gouvernement en début d’année, notamment en ce qui concerne l’intégration fiscale ou l’exit tax, dont les régimes sont aménagés davantage que réformés ou supprimés. Mais pour ce qui concerne plus particulièrement les redressements, je note la transposition dans notre législation la clause anti-abus générale issue de la directive dite « ATAD » en matière d’impôt sur les sociétés. Cette mesure, qui vise à réprimer les montages considérés comme non authentiques car dépourvus de motif commercial valable, s’appliquera dès lors que l’un des objectifs principaux d’une opération est l’obtention d’un avantage fiscal en contrariété avec le droit fiscal applicable. La règle rappelle bien sûr celle de l’abus de droit, mais elle pourra être mise en œuvre dès lors que l’un des objectifs principaux – plutôt que l’objectif exclusif – de l’opération est de nature fiscale, de sorte qu’il existe un certain flou sur les contours de ce qui sera permis et de ce qui ne le sera pas. Flou que la jurisprudence va certainement dissiper au fil des décisions qu’elle rendra dans les prochaines années, mais dans l’intervalle il est à craindre que les redressements fondés sur ce dispositif se multiplient.

Thomas PERROT
Avocat Associé
SKADDEN ARPS SLATE MEAGHER & FLOM LLP


Intervenant à la conférence annuelle des Redressements fiscaux

 

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