Actualité fiscale du contentieux de l’amortissement des immeubles inscrits au bilan de l’entreprise

Article rédigé par Me Jean-Christophe BOUCHARD, avocat associé,et Rémi Castebert, avocat à la cour, du cabinet NMW Delormeau

Conformément à l’article 214-9 du Plan comptable général (ci-après « PCG »), les immeubles inscrits à l’actif d’une société doivent être amortis selon la méthode dite « par composants ». La décomposition reste relativement libre sous réserve que la méthode retenue par les contribuables soit suffisamment documentée. Cette relative liberté fait de l’amortissement des immeubles un exercice délicat, source d’un contentieux régulier.

Dans un arrêt de principe du 15 février 2016 (Conseil d’État 15 février 2016, n° 380400, société LG Services), le Conseil d’Etat avait délimité une méthode cadre permettant d’évaluer le bâti du non bâti d’un immeuble. Cette méthode avait fait l’objet de commentaires de la part de la doctrine et des praticiens, notamment concernant ses conditions pratiques d’application.

Dans un arrêt en date du 8 février 2018 (CAA Paris, 9e ch., 8 févr. 2018, n° 16PA00833 société LG Services), la Cour d’appel administrative de Paris statuant sur renvoi dans cette affaire « LG Services » a eu l’occasion de mettre en œuvre pour la première fois cette méthode.

Dans cette affaire, la société LG Services (ci-après « la Société ») avait fait l’acquisition d’un appartement avenue de l’Opéra à Paris. Suite à cette opération d’acquisition, la Société avait inscrit l’immeuble à son actif et a procédé à sa décomposition pour les besoins de son amortissement.

Suite à une vérification de comptabilité, l’administration fiscale avait remis en cause la répartition, entre le terrain non amortissable et la construction, retenue par la Société.

Pour rappel, l’amortissement par « composants » résulte du fait que les éléments principaux des immeubles inscrits à l’actif (hors stocks) doivent faire l’objet de remplacements à intervalles réguliers, possèdent des durées d’utilisation différentes ou procurent des avantages économiques à l’entreprise selon un rythme différent. Tout ceci nécessite donc l’utilisation de taux ou de modes d’amortissement propres, ce qui oblige donc à comptabiliser les divers composants séparément dès l’origine et lors de leur remplacement.

En ce qui concerne le cas particulier des immeubles, ceux-ci doivent être découpés en différentes fractions homogènes (gros œuvre, façade, toiture, installations électriques etc.), étant précisé qu’il est au minimum nécessaire de distinguer la valeur correspondant au terrain (non amortissable) et celle correspondant au bâti (amortissable).

Dans son arrêt « LG » du 15 février 2016, le conseil d’Etat avait rappelé, que la charge de la preuve incombe à l’administration lorsque celle-ci entend contester la ventilation entre le bâti et le terrain d’assiette d’un immeuble, avant d’ajouter que cette contestation elle doit être effectuée prioritairement par application de la méthode dite par « comparaison ». En d’autres termes, l’administration doit se fonder sur un nombre suffisant de transactions réalisées sur des terrains nus et à des dates proches de celle de l’entrée du bien au bilan du contribuable. Ces terrains doivent être situés dans la même zone géographique que ce bien et présenter des droits à construire similaires.

En cas d’impossibilité de mise en œuvre de la méthode par comparaison de terrains, l’administration est alors en droit de proposer une méthode d’évaluation alternative consistant à évaluer la valeur de la construction à partir de son coût de reconstruction à la date de son entrée au bilan, en lui appliquant, le cas échéant, les abattements nécessaires pour prendre en compte sa vétusté et son état d’entretien.

Enfin, lorsqu’aucune des deux premières méthodes n’est applicable, notamment dans le cas d’immeubles anciens, l’administration peut alors proposer une évaluation fondée sur la comparaison de données comptables issues du bilan d’autres contribuables pour déterminer des taux moyens relatifs aux parts respectives du terrain et de la construction et les appliquer ensuite à la valeur globale de l’immeuble en litige à sa date d’entrée au bilan. L’évaluation proposée sur la base de cette méthode doit se fonder sur un échantillon pertinent reposant sur un nombre de données significatif, portant sur des immeubles présentant des caractéristiques comparables s’agissant de la localisation, du type de construction, de l’état d’entretien et des possibilités éventuelles d’agrandissement. De plus, seuls peuvent être retenus des immeubles entrés au bilan des entreprises servant de termes de comparaison à des dates proches de celle de l’entrée au bilan de l’immeuble objet du litige.

Dans l’arrêt commenté, la CAA de Paris donne acte du grief du Ministre consistant à arguer que les deux premières méthodes d’évaluation ne peuvent être mises en œuvre compte tenu de la rareté du foncier disponible à paris et de la difficulté, s’agissant d’un immeuble ancien, de déterminer son coût de reconstruction à l’identique. Cette solution n’appelle pas de commentaire particulier est en tout point conformes aux commentaires émis par les praticiens concernant la mise en œuvre pratique de ces deux premières méthodes dans certaines zones.

Dans cette affaire l’administration fiscale s’est donc fondée pour évaluer le prix de revient du terrain d’assiette de la contribuable, sur les données comptables issues du bilan d’autres contribuables conformément à la méthode posée par la Haute Juridiction.

Dans l’arrêt commenté la CAA de Paris valide la position de la Société en jugeant que les règles de mise en œuvre d’une évaluation par application de la méthode dite « par comparaison » n’étaient en l’espèce pas respectées. Ceci, dans la mesure où les termes de comparaison retenus portaient sur des transactions trop éloignées de la date d’acquisition de l’immeuble en litige (transactions datées entre 3 ans et 9 ans, avant ou après la date d’acquisition), que certains termes de comparaison portaient sur des immeubles à usage professionnel ou de bureaux (affectation différentes), situés dans d’autres arrondissements de Paris (absence de proximité géographique) et absence de description de leur caractéristiques permettant de justifier de caractéristiques similaires.

On ne peut que se féliciter de cette stricte vérification par la CAA de Paris de la mise en œuvre de la méthode d’évaluation par comparaison, dans la mesure où en pratique, on peut constater que certains vérificateurs font une application viciée de cette méthode par la référence à des transactions non pertinentes.

Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Delormeau
Diplômé d’expertise comptable

Intervenant au sein des conférences EFE

 

Rémi Castebert
Avocat à la cour
NMW Delormeau

Intervenant au sein des conférences EFE

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