Opérations immobilières et TVA sur la marge

Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Avocats
Diplômé d’expertise comptable

 

La doctrine administrative subordonnant l’application de la TVA sur la marge à une identité de qualification juridique entre l’immeuble acquis et l’immeuble revendu est censurée par le juge de l’impôt

Dans un jugement du 14 novembre 2016 (TA de Grenoble 14 novembre 2016 n° 1403397 « SARL Gepim habitat ») devenu définitif le 14 janvier 2017 en absence d’appel, le tribunal administratif de Grenoble juge que la seule condition requise pour bénéficier du régime de la TVA sur la marge dans les opérations immobilières est que l’acquisition de l’immeuble par le cédant, n’ait pas ouvert droit à la déduction de la TVA et que par suite, les terrains revendus comme terrains à bâtir ne doivent pas nécessairement avoir été acquis comme terrain n’ayant pas le caractère d’immeuble bâti.

Pour rappel, les ventes de terrains à bâtir et d’immeubles anciens bâtis (pour lequel l’option à la TVA a été exercée) qui sont effectuées par des assujettis sont soumises à la TVA sur le prix total de la cession en application des dispositions de l’article 266 du CGI.

Toutefois l’article 268 du CGI prévoit de façon dérogatoire que le régime de la TVA sur la marge s’applique lorsque les immeubles cédés n’ont pas ouvert droit à déduction de la TVA lors de leur acquisition. C’est notamment le cas, en pratique lorsque l’assujetti professionnel de l’immobilier a acquis l’immeuble, objet de la vente auprès d’un particulier ou lorsque l’immeuble acquis bénéficiaire d’une exonération de TVA.

L’administration fiscale a notifié plusieurs redressement de TVA au motif, selon elle, que le régime de TVA sur la marge ne trouve à s’appliquer que lorsqu’il existe une identité de qualification juridique entre l’immeuble acquis et l’immeuble revendu.

Les professionnels de l’immobilier qui réalisaient des acquisitions immobilières suivies d’une division et d’une revente des parcelles se sont donc retrouvés dans l’impossibilité de bénéficier du régime de la TVA sur la marge ce qui a en pratique abouti à une diminution de leur marge opérationnelle.

La position de l’administration a récemment été confirmée fin 2016 par plusieurs réponses ministérielles (Rép. Bussereau AN 20 septembre 2016 n°96679 ; Rép. Savary AN 20 septembre 2016 n°94538 ; Rép. De La Raudière AN 30 août 2016 n°94061 ; Rép. Carré AN 30 août 2016 n°91143).

La légalité de la doctrine par rapport à la lettre de l’article 268 du CGI était en cause. Dans la mesure où plusieurs contentieux concernant cette problématique étaient pendants, les praticiens et les professionnels de l’immobilier attendaient les premières décisions du juge de l’impôt statuant sur la légalité de la doctrine.

Dans l’affaire ayant donné lieu au jugement commenté, la SARL Gepim habitat (la Société) exerçait une activité de marchand de biens. Durant l’exercice 2011, la Société avait fait l’acquisition d’un ensemble immobilier, comprenant un immeuble bâti et son terrain d’assiette.

Trois mois après avoir acquis cet ensemble immobilier, la Société a revendu, après avoir divisé l’ensemble immobilier, plusieurs lots comprenant notamment des lots de terrains à bâtir obtenus lors de cette division post acquisition.

La Société avait appliqué le régime de la TVA sur la marge au titre de ces opérations, l’acquisition de l’ensemble immobilier n’ayant pas ouvert de droits à déduction de la taxe pour la société.

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause l’application du régime de la TVA sur la marge pour les cessions portant sur les lots de terrains à bâtir.

Dans cette affaire, le tribunal administratif de Grenoble fait une application stricte de la lettre de l’article 268 du CGI en jugeant que ces dispositions ne subordonnent l’application du régime de la TVA sur marge à la seule condition que l’acquisition par le cédant n’ait pas ouvert droit à déduction de la TVA. Le juge de l’impôt Tribunal rejette donc toute condition supplémentaire relative à une exigence d’identité de qualification juridique. La doctrine serait donc illégale car ajoutant une condition à la loi.

Dans cette affaire, le tribunal juge également que l’administration n’est pas en droit d’exiger une division parcellaire ainsi qu’une ventilation du prix d’achat au stade de l’acquisition initiale pour que le régime de la TVA sur la marge s’applique.

Cette solution rendue par le tribunal administratif de Grenoble constitue une première étape dans la remise en cause de la doctrine administrative restreignant le bénéfice du régime de la TVA sur la marge. On attendra avec impatience que l’illégalité de la doctrine soit confirmée dans les autres contentieux toujours en cours d’instruction.

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Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW avocats. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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