L’indemnité de résiliation anticipée d’un bail commercial par une des parties au bail peut être assujettie à la TVA

jcbouchard-683x1024Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Avocats
Diplômé d’expertise comptable

 

Dans un arrêt du 1er juin 2016 (CAA Paris, 1er juin 2016, n° 15PA01120 SNC Centre Commercial Francilia), qui n’a, à notre connaissance, toujours pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation, la cour administrative d’appel de Paris juge que l’indemnité de résiliation anticipée d’un bail commercial versée par une des parties au contrat peut être assujettie à la TVA lorsqu’elle a pour contrepartie une prestation de service individualisée rendue à celui qui la verse.

Dans cette affaire, la SNC Centre Commercial Francilia (la Société), société assujettie à la TVA et qui exerçait une activité de location de locaux commerciaux avait consenti le 10 juin 2001 à la société Côté Maison (la Locataire) un bail commercial expirant en mai 2012.

La Société a souhaité mettre un terme anticipé à ce bail commercial et a conclu avec sa Locataire un protocole prévoyant la résiliation dudit bail en contrepartie du versement d’une indemnité d’un montant de 220.000 euros HT à la Locataire.

Cette indemnité a été soumise à la TVA, taxe que la Locataire a pour sa part intégralement déduite.

Suite à des opérations de contrôle, l’administration fiscale a remis en cause cette déduction au motif que l’indemnité litigieuse ne pouvait être regardée comme entrant dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée.

Pour rappel, En ce qui concerne les indemnités dites de résiliation, la jurisprudence et la doctrine administrative précisent que le versement de telles indemnités, notamment dans le cadre de l’interruption prématurée d’un contrat de crédit-bail, ne permet pas, à lui seul, de conclure au caractère taxable de cette somme (CE 20 mars 2013, n° 346990 et BOFIP-BOI-TVA-BASE-10-10-10 n° 270).

Par suite, pour que des indemnités de résiliation anticipée soient soumises à la TVA, il est nécessaire qu’elles constituent la contrepartie d’une prestation de services individualisée rendue à celui qui la verse et qu’il existe un lien direct entre le paiement de cette indemnité et cette prestation individualisable (Voir notamment CE 23 octobre 1998 n° 154039 « Sofah » ; CE 24 mai 2000 n° 190479 « Déjardin » ; CE 15 décembre 2000 n° 194696 « SA Polyclad Europe », solution reprise par BOFIP-BOI-TVA-BASE-10-10-10 n° 260).

Les indemnités reçues par un assujetti qui correspondent exclusivement à la réparation d’un préjudice ou d’un dommage, ne constituent pas la contrepartie d’une prestation de services et se situent hors du champ d’application de la TVA.

Par ailleurs, et sur cette problématique de l’assujettissement à la TVA des indemnités de résiliation, le Conseil d’Etat a jugé, l’année dernière que : « La libération des locaux consécutive à la résiliation anticipée du bail doit […] être regardée comme un service rendu nettement individualisable, trouvant sa contrepartie dans la possibilité qui a ainsi été offerte [au bailleur] de conclure un nouveau bail dans des conditions de marché plus avantageuses » (CE 27 février 2015 n°368661, SCI Catleya).

Dans l’arrêt commenté, la Cour d’Appel Administrative de Paris applique la solution retenue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt précité en énonçant que : « le versement par la SNC Centre Commercial Francilia à la société Côté Maison de l’indemnité prévue par cet accord doit être regardé comme constituant la contrepartie directe et la rémunération d’un service nettement individualisable fourni par la seconde ; que, de ce fait, l’indemnité litigieuse doit être regardée comme rémunérant une prestation de services à titre onéreux, au sens des dispositions de l’article 256, I du code général des impôts, et, dès lors, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ; que l’appelante était, par suite, en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé cette prestation.»

L’arrêt commenté apporte des précisions complémentaires en ce qui concerne le régime de TVA applicables aux indemnités de résiliation anticipées des baux commerciaux versées par l’une des parties au contrat.

En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2015 du Conseil d’Etat, l’indemnité de résiliation litigieuse avait été versée au locataire par une société tiers au bail commercial dans le cadre d’une convention ad hoc.

La question qui restait donc en suspens était celle de savoir si un traitement distinct devait être appliqué dans le cas où l’indemnité de résiliation anticipée est versée par un tiers au bail ou dans le cas où cette indemnité est versée par une des parties.

En effet, compte tenu de la jurisprudence (voir en ce sens CE 20 mars 2013 n° 346990 « SA Diac » pour la résiliation anticipée d’un contrat de location de véhicule) il n’allait pas de soi de juger qu’il peut exister un lien direct entre l’indemnité de résiliation anticipée versée et la réalisation d’une quelconque prestation de services individualisée.

En jugeant qu’une telle  indemnité  peut être considérée comme la contrepartie d’un service rendu, dans la mesure où son seul but était d’obtenir la libération anticipée des locaux et ainsi de permettre à la société versante, sur son initiative, de disposer de la libre jouissance du local commercial pour toute la période restant normalement à courir, il semblerait que le juge de l’impôt entende appliquer une solution identique dans les deux cas de figure.

Cette solution qui n’est pas évidente semble donc annoncer un revirement du juge de l’impôt par rapport aux jurisprudences passées. On attendra avec intérêt que cette solution soit confirmée par le Conseil d’Etat. En attendant, il conviendra de recommander aux contribuables qui auraient omis de soumettre à la TVA leurs indemnités de résiliation anticipées de procéder à un audit de leur situation et le cas échéant procèdent aux régularisations qui s’imposent.

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Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW avocats. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

 

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