Imposition des sociétés étrangères détenant des immeubles en France – Article de Bruno Gouthière, Avocat Associé

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Gouthière-Bruno-2-(petite)Bruno Gouthière
Avocat Associé
CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE
Intervenant à la conférence « Actualité 2016 redressements en gestion de patrimoine », le mardi 18 octobre 2016

Traditionnel rendez-vous annuel, la conférence EFE sur les « Redressements en gestion de patrimoine » sera notamment l’occasion de faire le point sur les pratiques actuelles du contrôle fiscal international ; parmi les questions qui reviennent périodiquement, celle de l’imposition des sociétés de personnes étrangères constituées par des non-résidents pour la détention d’immeubles en France, ou, plus précisément celle de la détermination des cas où ces sociétés doivent l’impôt sur les sociétés dans notre pays, est généralement assez mal comprise, aussi bien des contribuables que de l’administration.

Un bon exemple en est donné par les Limited Liability Companies américaines (« LLC ») qui détiennent des immeubles en France mis à la disposition gratuite de leurs associés. Etant donné que, sauf exception, ces sociétés sont regardées comme fiscalement transparentes aux États-Unis, doivent-elles ou non être considérées comme passibles de l’impôt sur les sociétés en France et ont-elles ou non commis un acte anormal de gestion en ne réclamant pas de loyer pour la mise à disposition de l’immeuble ? Les services vérificateurs répondent généralement par l’affirmative, parfois à juste titre ainsi que le montre la jurisprudence du Conseil d’État.

Il y a d’abord lieu de rappeler que ce n’est pas parce qu’une LLC américaine est, en principe, fiscalement transparente aux États-Unis qu’elle doit être traitée en France comme une société de personnes ; pour en décider, il convient, en effet, de procéder préalablement à l’analyse de ses caractéristiques juridiques sans tenir compte de ses caractéristiques fiscales. Ce principe a notamment été souligné par le Conseil d’État dans une décision de plénière fiscale du 24 novembre 2014 (n° 363556) à propos des conditions d’imposition en France de revenus réalisés par une société française par l’intermédiaire d’une partnership américaine ; le Conseil d’Etat a posé en principe qu’il appartient d’abord au juge de l’impôt d’identifier le type de société de droit français auquel une telle société est assimilable, au regard de l’ensemble de ses caractéristiques et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement ; il lui revient ensuite de déterminer, compte tenu de ces constatations, le régime fiscal qui lui est applicable au regard de la loi fiscale française. Seules les caractéristiques juridiques de la société doivent être prises en compte aux fins de l’assimilation, à l’exclusion de ses caractéristiques fiscales étrangères.

En application des mêmes principes, il a été jugé que l’impôt sur les sociétés n’était pas exigible d’une société espagnole dont l’associé unique était une personne physique (CE 2 février 2015 n° 370385, 3e et 8e s.-s.). En effet, le capital de cette société était divisé en parts égales, non librement cessibles, et les associés ne répondaient des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports : la société devait donc être assimilée à une SARL française. Or l’associé unique (personne physique) d’une SARL est passible de l’impôt sur le revenu dans la catégorie de revenus correspondant à l’activité de la société (sauf option pour l’impôt sur les sociétés) ; les résultats de la société espagnole étaient donc imposables à l’impôt sur le revenu au nom de l’associé unique et ne pouvaient être regardés comme des revenus distribués. Dans cette affaire, l’administration a perdu au contentieux parce qu’elle s’était trompée de contribuable : elle aurait pu être victorieuse si elle s’y était mieux pris, en imposant les résultats de la société espagnole directement entre les mains de son associé unique, domicilié en France.

Transposé au cas de biens immobiliers détenus par des LLC américaines, ce raisonnement montre que certaines décisions antérieures, qui avaient conclu à la non-application de l’impôt sur les sociétés, étaient erronées. Par exemple, comme vient de le confirmer le Conseil d’État, c’est à tort qu’il avait été jugé que l’impôt sur les sociétés n’était pas exigible d’une LLC américaine qui avait deux associés, personnes physiques non domiciliées en France, et qui avait mis une villa située en France à la disposition gratuite de ces derniers ; dans cette affaire, l’administration avait réclamé à la LLC l’impôt sur les sociétés sur les loyers que celle-ci aurait dû recevoir mais elle avait perdu en première instance et en appel : les premiers juges avaient estimé que l’impôt sur les sociétés n’était pas exigible au motif que la mise à disposition ne constituait pas, par elle-même, une activité lucrative et que la société, fiscalement transparente aux États-Unis, ne pouvait être assimilée à une SARL en dépit de la responsabilité limitée de ses associés. Le Conseil d’État, cassant l’arrêt d’appel, a jugé au contraire, dans le sillage des décisions précitées, que la LLC ne pouvait être assimilée à une société de personnes dès lors que la responsabilité de ses associés était limitée à leurs apports (CE 27 juin 2016 n° 386842, 9e ch. ; en tout état de cause, la LLC, qui avait deux associés, ne pouvait pas être assimilée à une SARL dont l’associé unique est une personne physique et qui, comme telle, aurait échappé à l’impôt sur les sociétés).

Cette dernière décision, même si elle n’a pas beaucoup d’autorité car elle a été rendue en formation de « jugeant seule », souligne que le critère de l’étendue de la responsabilité des associés est essentiel aux fins de la comparaison d’entités étrangères avec des entités françaises ; elle remet naturellement en cause, mais sur le fond seulement car ces arrêts sont définitifs, les décisions antérieurement rendues en appel en sens contraire, notamment par CAA Marseille 2 octobre 2007 n° 05-0749, 4e ch., jugeant qu’une « corporation » américaine qui détenait un immeuble en France n’était pas passible de l’impôt sur les sociétés, et CAA Douai 12 mai 2011 n° 09DA01666, 3e ch., à propos d’une société de pure façade qui avait été constituée par deux résidents de France qui l’utilisaient pour facturer leurs propres prestations et dont l’administration avait imposé en leurs noms les bénéfices non commerciaux.

En définitive, en présence de LLC américaines constituées par des personnes physiques pour la détention d’un immeuble en France, la solution dépendra, en principe, du nombre de ses associés : si la LLC n’a qu’un associé, elle doit être traitée comme une SARL à associé unique, ce qui rend l’impôt sur les sociétés inapplicable ; en revanche, si elle a plus d’un associé, elle est redevable de l’impôt sur les sociétés et commet donc un acte anormal de gestion si elle ne réclame pas de loyer au titre de l’utilisation de l’immeuble.

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