Conventions fiscales internationales : une société exonérée de l’imposition de droit commun d’un État mais imposée forfaitairement n’est pas « résidente » au sens conventionnel

rémiRémi Castebert
Avocat à la cour
NMW Avocats
Intervenant au sein des formations EFE

Dans un récent arrêt du 20 mai 2016 (CE 20 mai 2016, n° 389994 Société Staff and Line) le Conseil d’État apporte des précisions utiles à sa jurisprudence récente du 9 novembre 2015 (CE 9 novembre 2015 n° 370054, Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk ou LHV et n° 371132 société Santander Pensiones SA EGFP), rendue en matière de délimitation du champ d’application des conventions fiscales internationales, en jugeant qu’une société libanaise exonérée de l’imposition de droit commun au Liban mais imposée à un impôt forfaitaire n’est pas « résidente » au sens de la convention fiscale franco-libanaise.

Dans cette affaire, la société Staff and Line, devenue Easyvista (la Société), avait versé à la société de droit libanais Roxana des rémunérations en contrepartie de prestations de services effectuées au cours des exercices clos en 2006, 2007 et 2008. La Société a été assujettie, sur la base de ces rémunérations, à la retenue à la source de 33,33 % prévue à l’article 182 B du Code Général des Impôts Français (CGIF).

La Société a demandé au juge de l’impôt la décharge de cette retenue à la source française sur le fondement de la convention fiscale franco-libanaise du 24 juillet 1962 qui a donné droit à sa demande en première instance. Saisie du litige, la Cour Administrative d’Appel de Versailles (CAA) a confirmé cette solution au motif que si la CAA a jugé fondée l’application des dispositions de l’article 182 B du CGIF aux rémunérations en cause, celle-ci a toutefois confirmé la décharge de la retenue à la source française litigieuses en se fondant sur les stipulations, invoquées par la Société, de la convention fiscale bilatérale signée le 24 juillet 1962 entre la France et le Liban.

Pour justifier sa solution, la CAA de Versailles a assez classiquement recherché si les stipulations de la convention fiscale franco-libanaise du 24 juillet 1962 pouvait faire obstacle à l’application de l’article 182 B du CGIF.

Elle a tout d’abord considéré que la société libanaise avait bien le caractère d’un résident au sens de l’article 2 de la convention fiscale précitée et qu’elle était donc fondée à se préva­loir de ses stipulations.

La CAA de Versailles a ensuite a constaté que l’application combinée des articles 10 et 26 de la convention interdisaient à la France d’appliquer la retenue à la source prévue par l’article 182 B du CGIF.

Cette solution est conforme au principe dit de « subsidiarité des conventions fiscales » dont les stipulations se substituent aux législations internes des Etats signataires lorsque la convention s’applique (sur ce point voir CE 28 juin 2002 n° 232276, Sté Schneider Electric ; CE 15 juillet 2004 n° 249801, Sté Alitalia et CE 13 juillet 2007 n° 290266, Sté Pacific Espace).

Le Ministre des finances et des comptes publics s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la CAA de Versailles.

Pour rappel, les conventions fiscales internationales sont des traités bilatéraux conclus entre la France et un autre Etat afin de régler leurs relations en ce qui concerne la fiscalité (le Liban dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté). Ces conventions ont vocation à régler les problématiques pouvant survenir dans le cadre de problématiques de flux transfrontaliers, c’est-à-dire lorsque des personnes physiques ou morales résidentes d’un Etat contractant perçoivent des revenus provenant d’un autre Etat).

Les conventions fiscales permettent donc de répartir entre les Etats parties à la convention, le droit d’imposer un revenu transfrontalier, ce qui a pour conséquences de prévenir ou d’éliminer le risque de double imposition dont pourraient être victimes les ressortissants de chaque Etat dans leurs relations avec l’autre.

En ce qui concerne le traitement fiscal des revenus de source française en cause dans le litige ayant donné lieu à l’arrêt commenté, ceux-ci sont soumis à une retenue à la source en France en application de la législation française. La société libanaise située en zone offshore était quant à elle, exonérée de la plupart des impôts libanais mais était toutefois imposée à un impôt forfaitaire en application de la législation libanaise.

La question qui se posait dans la présente affaire et qui était soulevée par le Ministre en cassation était celle de savoir si, conformément à la position adoptée en novembre 2015 par le Conseil d’Etat (CE 9 novembre 2015 n° 370054, Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk ou LHV et n° 371132 société Santander Pensiones SA EGFP), la convention fiscale franco-libanaise était applicable à la société libanaise exonérée d’impôt au Liban mais soumise à une imposition forfaitaire légale. En d’autres termes, une société faiblement imposée possède-t-elle la qualité de « résident » au sens de ladite convention ?

Dans l’arrêt commenté, la Haute Juridiction après avoir repris à la lettre le considérant de principe des arrêts du 9 novembre 2015 précités énonce que :

« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Versailles a jugé que la société Roxana devait être regardée, au sens de l’article 2 de la convention fiscale entre la France et le Liban, comme résidente de ce dernier Etat et que les stipulations de l’article 10 de cette convention faisaient obstacle à l’application de la retenue à la source sur les rémunérations versées à cette société ; qu’en statuant ainsi, alors qu’elle a relevé que la société Roxana était, en vertu des dispositions de la loi libanaise relative aux sociétés offshore, exonérée de l’imposition de droit commun de ses bénéfices au Liban et qu’elle n’était soumise par la loi de cet Etat qu’à une imposition annuelle forfaitaire d’un montant modique, sans rechercher si cette imposition forfaitaire était de nature identique ou analogue aux impositions auxquelles la convention s’applique et si, par suite, la société Roxana pouvait être regardée comme résidente du Liban au sens de la convention et si les stipulations de la convention pouvaient être invoquées par la société française, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors, le ministre des finances et des comptes publics est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. »

Il en résulte donc qu’une imposition forfaitaire ne saurait s’analyser en une imposition de droit commun mentionnée par la convention franco-libanaise. Par suite, le Conseil d’Etat en déduit conformément à sa jurisprudence du 9 novembre 2015 que la société libanaise n’avait pas la qualité de « résident » au sens de la convention fiscale franco-libanaise de 1962.

L’intérêt de cet arrêt réside dans le fait que celui-ci apporte des précisions bienvenues sur les modalités de détermination du champ d’application des conventions fiscales telles que posées par les arrêts du 9 novembre 2015 précités. En effet, ces deux arrêts concernait le cas de fonds de pensions totalement exonérés d’impôt et ne tranchait pas la question des sociétés offshores situées en zones spéciales, qui dans un certain nombre de pays, sont uniquement soumises à des impôts forfaitaire voire totalement exonérées.

L’arrêt commenté est donc très clair sur ce point : une imposition forfaitaire très faible ne permet pas à une société d’être considérée comme « résident » au sens de la convention fiscale franco-libanaise.

Il est à noter que le raisonnement est, selon nous, transposable à toutes les conventions fiscales qui définissent leurs « résidents » comme des « personnes assujetties à l’impôt ».

Toutefois, dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat reproche à la CAA de ne pas avoir recherché : « si cette imposition forfaitaire [libanaise] était de nature identique ou analogue aux impositions auxquelles la convention s’applique ». Il semblerait donc qu‘en l’espèce, le Conseil d’Etat considère que l’imposition forfaitaire libanaise (en l’espèce très modeste) ne puisse constituer une « imposition analogue à celle couverte par la convention fiscale ». Cela signifierait donc que la solution pourrait être différente dans le cas où le pays de résidence appliquerait une imposition forfaitaire locale d’un montant suffisamment important pour qu’elle puisse être assimilée à une imposition couverte par une convention fiscale internationale. Or le Conseil d’Etat ne fournit pas plus de précision sur ce point, ce qui laisse présager des développements contentieux ultérieurs.

En conclusion et compte tenu des développements récents de la jurisprudence, on ne peut que recommander aux contribuables (dirigeants et groupes de sociétés) détenant des entités opérant en France depuis des zones offshores ou depuis des pays fiscalement cléments (les Emirats arabes-unis notamment) de procéder à une audit de leur situation afin d’évaluer les risques et de mettre en place des stratégies alternatives.

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Rémi Castebert est avocat au sein des départements fiscal et immobilier du cabinet NMW avocats. Il intervient en matière de fiscalité immobilière et accompagne des groupes de sociétés français et étrangers sur l’ensemble de leurs problématiques fiscales complexes (structurations, audit et opérations de revue fiscale, restructurations, fusions acquisitions, intégration fiscale et international tax planning etc.) et les assiste également dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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