Acte anormal de gestion : le Conseil d’État abandonne la théorie du « risque manifestement excessif »

jcbouchard-683x1024Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Avocats
Diplômé d’expertise comptable

En lien avec la conférence EFE « La direction fiscale de votre entreprise face à l’abus de droit » du 15 décembre 2016

Dans un récent arrêt en date du 13 juillet 2016, (CE 13 juillet 2016 n°375801 « SA Monte Paschi Banque »), le Conseil d’État abandonne les actes anormaux de gestion (AAG) fondés sur la théorie du risque manifestement excessif en jugeant que l’administration fiscale n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle, dans le cadre d’une gestion commerciale normale, pour améliorer ses résultats.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, l’agence de Strasbourg de la SA Monte Paschi Banque (la Banque) avait consenti à la société KMX Technologie (la Société) d’importants concours financiers entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2004.

Pour couvrir le risque lié aux prêts accordés, la Banque avait constitué des provisions pour risque de non-recouvrement.

Suite à des opérations de vérification, l’administration fiscale a réintégré dans le résultat de la Banque une somme de 7.560.500 € correspondant à une fraction de la provision pour risque comptabilisée par a Banque.

L’administration fiscale justifiait ce redressement au motif que la Banque n’avait pas agi dans le cadre d’une gestion commerciale normale, dans la mesure où les prêts litigieux accordés à la Société, bien qu’entrant dans l’objet social de la Banque, constituaient des actes étrangers à une gestion commerciale normale insusceptibles d’ouvrir droit à la comptabilisation d’une provision déductible du bénéfice imposable.

Pour l’administration, les opérations litigieuses devaient être regardées comme révélant une « prise de risque inconsidérée de la banque » et constituaient donc un AAG.

Sur la question de l’appréciation des actes des entreprises, il est de jurisprudence constante que l’administration fiscale n’est pas un contrôleur de gestion (CE 20 décembre 1963 n° 52308 Dupont 1964 p. 175). Elle n’est donc pas autorisée à juger de l’opportunité des décisions de gestion prises par les sociétés et ne peut se substituer à celles-ci afin d’apprécier la décision qui leur aurait le mieux convenu.

Toutefois, ce principe de non-immixtion dans la gestion des entreprises ne s’oppose pas à ce que l’administration rectifie les conséquences des «actes de gestion anormaux».
D’une manière générale, l’AAG est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui prive cette dernière d’une recette sans être justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale (CE 27 juillet 1984 n° 34588 SA Renfort Services ; CE 1er mars 2004 n° 237013, Sté AS représentation).

En matière d’appréciation de l’AAG, le juge de l’impôt a, dans certains cas admis l’existence d’actes anormaux de gestion en se fondant sur l’existence d’un risque excessif encouru par les entreprises à raison d’un acte qui n’était pourtant pas étranger à leurs intérêts (CE n° 10812 14 février 1979 ; CE 28 septembre 1983 n° 34626 ; CE 17 octobre 1990 n° 83310 Loiseau ; CE 30 mai 2007 n° 285575 SA Peronnet ; CE 27 avril 2011 n° 327764 Société Legeps).

La question qui se posait dans l’affaire commentée était de savoir si en octroyant les prêts litigieux à la Société, et ce malgré le risque élevé d’incidents de remboursement, la Banque n’avait pas pris de risques excessifs.

Dans l’arrêt commenté, la Haute Juridiction rappelle, dans un premier temps, que c’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que l’administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale. Ceci, indépendamment du cas de détournements de fonds rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants. Le Conseil d’État juge ensuite : « qu’il n’appartient pas à l’administration de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats », avant de casser l’arrêt de la CAA de Versailles pour erreur de droit au motif que la Cour aurait seulement dû apprécier l’existence d’un AAG sur le seul critère de la conformité des décisions à l’intérêt de l’entreprise, sans s’interroger sur l’ampleur des risques pris par celle-ci.

L’arrêt commenté est donc favorable aux contribuables, dans la mesure où il marque l’abandon de l’acte anormal de gestion fondé sur la théorie du « risque manifestement excessif » dont le maniement par les Services vérificateurs constituait source d’incertitude et d’insécurité juridique pour le contribuable, compte tenu du caractère éminemment subjectif de l’appréciation des risques des opérations réalisées par les entreprises.

En effet, en permettant à l’administration d’apprécier l’ampleur des risques pris par le contribuable, cette théorie autorisait, de manière détournée, l’administration à endosser le rôle de contrôleur de gestion en contradiction avec le principe de non immixtion.

De plus, la prise de risque étant inhérente à la vie de l’entreprise, cette construction prétorienne faisait également courir un risque de contestation d’un nombre important d’opérations, parfois risquées il est vrai, réalisés par les entreprises.

On se réjouira donc que le Conseil d’État ait clairement redéfini le périmètre de contrôle de l’administration fiscale en laissant aux entreprises le soin de déterminer elles-mêmes les risques qu’elles sont capables de prendre pour améliorer leur résultat, sans les soumettre au contrôle subjectif, d’une administration faisant parfois preuve d’une vision de la gestion de l’entreprise à la limite de la prudence excessive.

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Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW avocats. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

 

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