Découverte d’un établissement stable : prescription longue écartée et pénalité de 80 % confirmée

jcbouchard-683x1024Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Avocats
Diplômé d’expertise comptable

Dans deux arrêts en date du 20 mai 2016 (CE 20 mai 2016 n° 376667,SAS DC Immobilière et CE 20 mai 2016 n° 376672 Sté Faisanderie), le Conseil d’Etat apporte des précisions inédites concernant la portée de la notion « d’établissement stable » en ce qui concerne la mise en œuvre du délai spécial de reprise de l’article L 169 du LPF en cas de découverte d’une activité occulte.

Les affaires ayant donné lieu aux arrêts commentés, concernaient des sociétés de droit luxembourgeois qui avaient  acquis des immeubles situés en France.

Ces ensembles immobiliers avaient été revendus par lots au cours de l’année suivant leur acquisition. Suite à ces opérations, les deux sociétés ont souscrit auprès de l’administration fiscale française des déclarations de TVA au titre de cette activité de marchand de biens.

 Dans les actes de cession de ces immeubles, les deux sociétés se sont déclarées domiciliées au Luxembourg. En conséquence, les bénéfices réalisés n’ont pas été soumis à l’IS en France, ni au prélèvement sur les profits immobiliers prévu à l’article 244 bis du CGI.

Suite à des opérations de visites effectuées sur la base des dispositions de l’article L 16 B du Livre des procédures fiscales (ci-après LPF), l’administration fiscale française a considéré  que les sociétés disposaient d’un établissement stable en France dans les locaux appartenant à l’un des actionnaires des entités luxembourgeoises.

Suite à ces opération de visite et de saisie l’administration fiscale a fait application du délai de reprise spéciale de 6 ans alors prévu à l’article L 169 du LPF dans sa rédaction alors applicable. L’administration fiscale justifiait l’application du délai spécial trouvait à s’appliquer dans la mesure où la société avaient, selon elle, exercé une activité occulte en France par le biais d’établissements stables non déclarés.

La vérification a donné lieu à une taxation d’office, et l’ensemble des redressements a été assorti de la pénalité de 80 % de l’article 1728 du CGI.

Dans cette affaire, les sociétés luxembourgeoises ont contesté la mise en œuvre du délai spécial de reprise au motif que la doctrine administrative alors en vigueur (doc adm.13-L-4-97 du 30 octobre 2007 reprise par BOFIP-BOI-CF-PGR-10-70 n° 90) prévoyait d’écarter l’application du délai spécial de reprise dans le cas où le contribuable s’est abstenu de déclarer son activité au greffe du tribunal de commerce ou au centre de formalités des entreprises (CFE), mais qu’il a néanmoins régulièrement déposé l’une des déclarations fiscales relatives à son activité imposable.

Le juge de première instance a donné partiellement droit aux requérantes et a prononcé la décharge partielle des redressements et pénalités. Cette solution a été confirmée par la CAA de Paris par deux arrêts du 4 février 2014. Le ministre et les deux sociétés se sont pourvus en cassation contre ces arrêts, mais seuls les pourvois du ministre ont été admis par le Conseil d’Etat.

Pour rappel, l’article L 169 du LPF, dans sa rédaction applicable aux années en litige dispose que : « Pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l’administration des impôts s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due. Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire et n’a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. »

Dans les arrêts commentés, le Conseil d’Etat a été confrontée à la question inédite de la détermination du champ d’application de l’alinéa 2 de l’article L. 169 du LPF tel qu’interprété par la doctrine.

Sur cette question, il convient de noter que le juge de l’impôt a eu peu d’occasion de se prononcer. Le Conseil d’Etat ayant seulement jugé qu’un contribuable ne peut se prévaloir de ces énonciations favorables lorsqu’il déclare son activité dans un CFE incompétent territorialement ou ratione materiae (CE 17 mars 2014 n° 354701, M. Chebbo).

Dans les arrêts commentés, le Conseil d’Etat rappelle la doctrine administrative en énonçant que : « Considérant que l’instruction publiée au bulletin officiel des impôts sous le n° 13 L-4-97 du 30 octobre 1997, reprise par la documentation administrative de base sous la référence 13 L-1218, dans sa version du 1er juillet 2002, indique que  » lorsque l’une quelconque des déclarations incombant au contribuable a été souscrite dans les délais, et alors même que la déclaration au centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce n’a pas été effectuée, le délai spécial n’est pas applicable  » et que  » compte tenu de l’intention du législateur qui est de n’opposer le délai spécial qu’aux activités réellement clandestines, il est également précisé que ce délai ne peut s’appliquer, s’agissant d’une activité déterminée, à un impôt donné pour lequel le contribuable est défaillant lorsque celui-ci a souscrit, dans les délais, des déclarations au titre d’autres impôts concernant cette même activité et que cette instruction précise aussi que le délai spécial n’est pas applicable au cas où  » le contribuable a souscrit les déclarations de TVA afférentes à une activité professionnelle mais non celle se rapportant aux revenus catégoriels (IR) ou aux résultats (IS) correspondants.»

Avant de juger que conformément à la doctrine administrative dont les Sociétés requérantes demandaient l’application sur le fondement de l’article L 80 du LPF, les sociétés s’étaient identifiées auprès du service des impôts des entreprises de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux pour les ventes immobilières effectuées sur le territoire français et y avait déposé les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée correspondantes en tant que société non-résidente, fiscalement domiciliée au Luxembourg, le délai de prescription allongé de l’alinéa 2 de l’article L. 169 du LPF ne leur était pas applicable et que par conséquent, les impositions dues au titre des années 2003, 2004 et 2005 devaient être regardées comme prescrites.

La solution adoptée par la Haute Juridiction est favorable au contribuable, celle-ci n’allait pas nécessairement d’elle-même. En effet, le Conseil d’Etat aurait très bien pu suivre sienne la thèse du ministre qui consistait à dire que les déclarations de TVA souscrites étaient relatives à une activité de marchand de bien exercée à partir du Luxembourg et non pas à partir de la France et que  par conséquent, en dissimulant l’existence de leur établissement stable français, les sociétés requérantes avaient donc dissimulé leur activité exercée sur le sol français. Il en résultait donc selon l’administration française que les déclarations souscrites pouvaient être assimilées à une déclaration d’existence ni même à la révélation d’une activité professionnelle exercée par l’intermédiaire de l’établissement stable, privant ainsi les contribuables de la possibilité de se prévaloir des énonciations de l’instruction administrative.

Cette solution n’a pas été adoptée, dans la mesure où le conseil d’Etat a considéré que la notion de « contribuable » telle que visée par l’instruction en cause s’appliquait aussi bien aux contribuables établis en France et soumis à l’impôt à raison de l’activité qu’il exerce sur le territoire national que pour des contribuables domiciliés à l’étranger et exerçant leur activité en France par le bais d’un établissement stable.

Dans les arrêts commentés, sur la question de l’application de la pénalité de 80 % le conseil d’Etat juge annule les arrêts de la cour d’appel au motif que comme les déclarations de TVA n’avaient pas été déposées au titre des  établissements stables français, le dépôt de ces déclarations n’étaient pas susceptibles de révéler à l’administration fiscale française les conditions réelles de l’exercice des activités des requérantes en France. La solution adoptée par la Haute Assemblée sur ce second point, en apparence contradictoire avec le premier volet de ces  deux affaires, se justifie par les moyens soulevés et notamment par le fait que le Conseil d’Etat s’est dans ce cas, uniquement prononcé sur l’application de la loi et non pas sur l’application de la loi telle qu’interprétée par la doctrine administrative opposable en application de l’article L. 80 A d LPF.

On ne peut que se féliciter de cette arrêt favorable au contribuable en ce qui concerne l’application du délai de reprise, dans a mesure où la doctrine leur offre une sécurité juridique certaine. Toutefois, il est peu probable que cette doctrine soit maintenue en l’état. On attendra donc avec impatience les commentaires de l’administration sur ce point.

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Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW avocats. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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