Détermination des provisions : le recours à des méthodes statistiques de calcul permet de quantifier un risque mais pas de le qualifier

provisions

rémiRémi Castebert
Avocat à la cour
NMW Avocats

 

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NMW Avocats

Dans un arrêt en date du 17 février 2016 (CE, 17 février 2016, n° 377415 société Centre Européen de Formation), le Conseil d’État juge qu’une société peut recourir, eu égard au nombre de ses clients et aux modalités de paiement qu’elle leur consentait, à une méthode statistique reposant sur les données de l’entreprises pour évaluer le montant des provisions qu’elle entendait constituer mais qu’elle ne pouvait réputer l’existence de créances douteuses sur la base d’éléments statistiques ne se rattachant à aucun événement en cours à la date de clôture de l’exercice.

Pour rappel, en application des dispositions de l’article du 5° du 1 de l’article 39 du Code Général des Impôts (CGI) une provision est considérée comme fiscalement déductible sous réserve qu’elle satisfasse à quatre conditions cumulatives : 1°) la provision doit être destinée à faire face à une perte ou à une charge déductible, 2°) la perte ou la charge doit être nettement précisée dans sa nature et dans son montant, 3°) la perte ou la charge doit être probable, ce qui exclut les risques éventuels ou certains, 4°) la probabilité de la perte ou de la charge doit résulter d’événements en cours, ce qui veut dire que le fait générateur de la provision doit être intervenu au plus tard à la date de clôture de l’exercice.

En ce qui concerne la question de la détermination de la charge, la jurisprudence admet de longue date que le montant de la perte ou charge probable soit  puisse être déterminé par le recours à la méthode statistique de calcul à la condition que celle-ci permettent une approximation suffisante (voir notamment CE 14 février 2001 n° 189776 en ce qui concerne une provision pour garantie ; CAA Paris 24 janvier 1991 n° 2783, en ce qui concerne une provision pour créance douteuse pou plus récemment CAA Versailles 21 juillet 2015 n° 14VE01122 GDF/Suez en ce qui concerne la détermination des provisions liées aux accidents du travail ou maladies professionnelles du secteur électrique et gazier).

Dans cette affaire, la société Centre européen de formation (ci-après CEF ou la Société) exerçait une activité de formation professionnelle continue à distance. Cette activité était exercée grâce à un portefeuille de 16.000 clients en 2008.

Pour assurer la gestion et le suivi de ce volumineux portefeuille clientèle, la Société avait mis en place un suivi logiciel de ses créances clients. Dans le cadre de ce suivi, elle avait distingué six niveaux de relance en fonction de l’ampleur et de l’ancienneté du défaut de paiement. Ainsi, le niveau « zéro » correspondait à la situation dans laquelle les clients étaient à jour de leurs paiements à la clôture de l’exercice alors que le dernier niveau (le niveau « six ») conduisait à la saisine d’une société de recouvrement contentieux.

Dans cette affaire, pour déterminer le montant de ses provisions, la Société s’est fondée sur ce système informatisé de suivi des créances pour calculer les données statistiques permettant d’apprécier le risque moyen associé à chaque niveau de relance et ainsi déterminer le montant des provisions correspondant à des pertes probables de créances clients.

À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause une partie des provisions pour créances douteuses constituées au titre de l’exercice clos en 2008 et correspondant au risque d’impayés des clients au motif, selon elle, que la méthode utilisée par la Société était trop forfaitaire et donc, comme le juge de façon constante le juge de l’impôt  non déductible fiscalement (sur l’exclusion des évaluations forfaitaires des provisions voir notamment : CE 15 décembre 1971 n° 75407 ; CE 26 juillet 1985 n° 45663 ;  CAA Nantes 24 juin 1997 n° 94-1202).

Dans l’arrêt commenté, la Haute Juridiction juge que les provisions pour dépréciation de créances rattachées à des clients dont le niveau de relance est « zéro », c’est-à-dire des clients qui sont à jour de paiement à la clôture de l’exercice mais dont certains ont, antérieurement, connu des incidents de paiement, ne se rattachaient à aucun événement en cours à la date de clôture de l’exercice. Le Conseil d’Etat ajoute que la seule circonstance que les clients concernés aient provoqué, pour certains d’entre eux, des incidents de paiement lors d’exercices antérieurs ne pouvait être regardée comme constituant un événement en cours pendant l’exercice susceptible de rendre probable la perte de créance.

Le raisonnement adopté par le Conseil d’État dans cette affaire consiste à dire que s’il demeure possible de déterminer le montant de la provision pour dépréciation à l’aide d’un calcul statistique reposant sur les données de l’entreprise, le recours à ces éléments statistiques ne saurait suffire en lui-même à réputer l’existence de créances douteuses se rattachant à un événement en cours à la date de clôture de l’exercice.

Il ne semble donc pas encore possible de réduire la déduction e provisions à un simple travail de statistique et l’incident de paiement pouvant donner lieu à la constitution d’une provision doit avoir eu lieu au cours de l’exercice.

Par conséquent, il est donc recommandé aux opérateurs économiques, avant de constituer des provisions pour dépréciation de créances, de rechercher des indices permettant de justifier du caractère douteux d’une créance et qui se rattachent à un exercice déterminé, tels que les relances, l’octroi de délais de paiement ou la dégradation de la situation financière du débiteur, travail qui restera délicat et utilisateur de moyens matériels et humains considérable dans le cadre de la gestion de portefeuilles clientèle importants.

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Rémi Castebert est avocat au sein des départements fiscal et immobilier du cabinet NMW avocats. Il intervient en matière de fiscalité immobilière et accompagne des groupes de sociétés français et étrangers sur l’ensemble de leurs problématiques fiscales complexes (structurations, audit et opérations de revue fiscale, restructurations, fusions acquisitions, intégration fiscale et international tax planning etc.) et les assiste également dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

Vincent Houang est fiscaliste junior au cabinet NMW avocats. Il a notamment travaillé au sein de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles en matière de contentieux fiscal puis au sein des départements fiscalité et immobilier du cabinet NMW avocats dans lequel il intervient en matière de contentieux fiscal, de revues fiscales et de due diligences. 

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