Actifs éligibles à l’assurance-vie, le législateur va-t-il se saisir de la question ?

thomas-mortel-225x300Marc THOMAS-MAROTEL
Responsable des expertises patrimoniales et financières, Natixis Assurances
Intervenant à la conférence « Assurance vie » les 10 et 11 décembre 2015
Les idées développées dans la présente étude sont à séparer des activités professionnelles de l’auteur. Elles n’engagent en rien Natixis Assurances.

À l’occasion de l’adoption de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le débat relatif aux rapports entre l’assurance-vie et les titres financiers a été soulevé avec un pragmatisme nouveau.
Si l’intérêt général commande d’orienter l’épargne des ménages en direction de l’économie productive, plus les actifs éligibles au sein du contrat sont diversifiés, plus vite sera atteint cet objectif. Or, si le Code des assurances retient des règles assez libérales, celles-ci restent plus restrictives que celles de nos voisins luxembourgeois, qui proposent à leurs clients établis en France d’investir sur une large palette d’instrument financier. Cette pratique est-elle licite et serait-il pertinent d’adapter les règles françaises ?

La Directive 2002/83 CE du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie, précise que, sauf exception, la loi applicable au contrat est celle de la résidence habituelle du preneur lors de l’engagement, toutefois lorsque le droit de cet État le permet, les parties peuvent choisir la loi d’un autre pays. L’article L 183-1 al. 1 du Code des assurances dispose que « Lorsque l’engagement est pris sur le territoire de la République française, la loi applicable au contrat est la loi française, à l’exclusion de toute autre ». Par conséquent, les dispositions française s’imposent impérativement dès lors que le preneur à sa résidence habituelle en France, ce qu’un parlementaire à récemment souligné : « il faut tout d’abord faire respecter le droit français et donc veiller à ce que les contrats souscrits en France par des résidents français soient investis dans des titres autorisés par le Code des assurances ».

Les assureurs luxembourgeois font valoir que si l’article 32 de la Directive retient que « La loi applicable aux contrats […] est la loi de l’État membre de l’engagement… », son article 10 précise « La surveillance financière d’une entreprise d’assurance, y compris celle des activités qu’elle exerce par le biais de succursales et en prestation de services, relève de la compétence exclusive de l’État membre d’origine. La surveillance financière comprend notamment la vérification […] de son état de solvabilité et de la constitution de provisions techniques, y compris les provisions mathématiques, et des actifs représentatifs conformément aux règles ou aux pratiques établies dans l’État membre d’origine ». Ce dont il résulterait que la loi applicable aux actifs éligibles serait celle de l’Etat membre d’origine.

L’article L 131-1 du Code des assurances indique que « le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’Etat » et l’article R 131-1 que « Les unités de comptes visées à l’article L. 131-1 sont : 1° Les actifs énumérés … de l’article R. 332-2 ». La liste des actifs éligibles figure bien sous cet article R 332-2.
Or, l’article L 362-4, pris en application de l’article 10 de la Directive, affirme bien que « Les opérations réalisées conformément aux dispositions des articles L. 362-1 (liberté d’établissement) et L. 362-2 (libre prestation de service) ne sont pas soumises aux dispositions des titres II à V du présent livre ». Par conséquent, la liste de l’article R 333-2, partie du Livre III du Code des assurances, serait écartée et le droit applicable serait bien celui de l’Etat membre d’origine, donc le droit du Luxembourg. Sous réserve toutefois de l’alinéa 2 de l’article L 362-4 qui indique : « Un décret en Conseil d’Etat précise, en tant que de besoin, les obligations auxquelles sont astreintes pour des raisons d’intérêt général les entreprises mentionnées aux articles L. 362-1 et L. 362-2 ». Ce décret n’a jamais été adopté, mais l’article L 111-2 du Code des assurances fixe les dispositions d’ordre public applicables aux opérations d’assurance, parmi lesquelles figure les articles L 131-1 et R 131-1. Un tel édifice législatif ne peut que nourrir des controverses.

En l’état, la construction du Code des assurances et la lecture littérale de ses dispositions, pourraient s’opposer à l’application des règles d’éligibilité des actifs prévues par la loi française, même si on peut douter que telle fût la volonté du législateur. Cette interprétation stricte est celle retenue naguère par l’ancien secrétaire général adjoint de l’ACPR qui avait déclaré : « Cette liste détaillée des UC éligibles, définie à l’article R. 131-1, ne peut s’appliquer telle quelle aux assureurs luxembourgeois car …ces derniers sont régis par les règles prudentielles du Grand-Duché …» . Cette analyse a été confirmée par l’actuel secrétaire général adjoint de l’ACPR, qui parle de l’ambiguïté (sic) des textes en vigueur ; cette formulation, si elle ne change pas la doctrine de l’ACPR, semble induire une analyse plus nuancée.
En revanche, les contrats luxembourgeois devant respecter les dispositions d’ordre public du Code des assurances, il ne saurait être dérogé à l’exigence de « protection suffisante » de l’épargne investie prévue par l’article L 131-1, dont un éventuel manquement pourrait être sanctionné par l’ACPR au titre de la défense de l’épargnant .

A l’occasion des débats de la loi Macron, le législateur a envisagé l’évolution de ces dispositions afin de rétablir la compétitivité des assureurs français ; le geste n’a hélas pas suivi la parole. Et pour certains parlementaires, s’il apparaissait que « certaines possibilités d’investissement interdites en France et autorisées au Luxembourg ne permettent pas cette « protection suffisante », alors il appartient aux autorités compétentes d’agir et, à tout le moins, d’avertir les épargnants français tentés par la souscription d’un contrat luxembourgeois », ce qui rejoint la position exprimée par les responsables de l’ACPR . Le débat des actifs éligibles est donc ouvert.

Marc THOMAS-MAROTEL
Responsable des expertises patrimoniales et financières, Natixis Assurances

[1] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron

[2] Sénat, débats lors de l’adoption de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, séance du 16 avril 2015 ; Sénat, Auditions devant la Commission des finances, 6 mai 2015 ; A. de Montgolfier, entretien avec N. Ducros, L’Agefi Actif, 23 oct. 2015

[3] Dir. 2002/83 CE, art. 32 « 1. La loi applicable aux contrats … est la loi de l’État membre de l’engagement. Toutefois, lorsque le droit de cet État le permet, les parties peuvent choisir la loi d’un autre pays. 2. Lorsque le preneur est une personne physique et a sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui dont il est ressortissant, les parties peuvent choisir la loi de l’État membre dont il est ressortissant… »

[4] « Toutefois, si le souscripteur est une personne physique et est ressortissant d’un autre Etat membre de l’Espace économique européen, les parties au contrat d’assurance peuvent choisir d’appliquer soit la loi française soit la loi de l’Etat dont le souscripteur est ressortissant ».

[5] F. Pesin, Agefi Actifs n° 635, sept. 2014

[6] S. Lemery, Sénat, Commission des finances, 6 mai 2015 : « Le droit du contrat français s’applique aux contrats vendus en France à des résidents français. L’ACPR a pour principale mission de vérifier la commercialisation de ce type de contrat. Nos moyens reposent principalement sur l’article L.131-1 du code des assurances, qui s’y applique, et qui impose deux conditions. L’une concerne la liste limitative des supports. Soit on l’applique à la lettre, et un certain nombre de supports seraient alors limités, soit on considère que cela relève de la réglementation prudentielle, et une restriction serait contradictoire avec les directives. Il y a donc ambiguïté ».

[6] F. Pesin, op. cit. S. Lemery, op. cit.

[7] A. de Montgolfier, op. cit.

[8] S. Lemery, op. cit.

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