La notion de siège réel : conséquences juridiques et fiscales

Catherine CathiardC. Cathiard
Avocat aux Barreaux de Paris et de Luxembourg

FIDAL, Direction technique droit des sociétés
Intervenante à la conférence « Délocalisation d’entreprise & Transfert de siège social » le 15 décembre 2015

 

Xavier HouardXavier Houard
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine,

FIDAL, Département droit fiscal

 

La notion de « siège réel » génère de nombreuses questions et a des conséquences non négligeables tant du point de vue juridique que du point de vue fiscal notamment lorsque l’on opère un transfert de siège d’une entreprise hors de France.

La notion de siège réel en droit des sociétés

Il existe deux théories de rattachement d’une entreprise à la loi nationale (lex societatis) dans l’UE : celle du siège statutaire (incorporation) et celle du siège réel (administration centrale ou head office), reconnues par la CJUE en matière de liberté d’établissement et de transferts transfrontaliers de siège. Dans les États ayant adopté le système de l’incorporation (Royaume-Uni, Irlande, Finlande, Pays-Bas, Suède notamment) l’immatriculation au registre suffit à désigner la loi applicable. Pour les autres États, une société prend la nationalité de cet État selon un critère de rattachement matériel, celui de la présence du siège réel de la société, c’est-à-dire le lieu où les organes de direction de la société sont censés prendre les décisions importantes.

En droit français, « Les sociétés dont le siège social est situé en territoire français sont soumises à la loi française. Les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la société si son siège réel est situé en un autre lieu » ( C. com, Art. L210-3 et L210-6 ; C. civ.  Art. 1837). Le siège statutaire de la société, critère de rattachement de principe à la loi française, est présumé être son siège réel, sauf si la dissociation résulte d’une fraude vis-à-vis des tiers (V. M. MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés). Selon le Pr. G. CORNU, peut être qualifié de réel le siège d’une société localisé à l’endroit où sont concentrées son activité et sa vie juridique, où fonctionnent ses services de direction. Lorsque les organes sociaux sont dispersés, la jurisprudence recourt à la technique du faisceau d’indices (lieu de réunion des assemblées générales, lieu des services administratifs, lieu où sont tenus les comptes de la société, lieu de conclusion des principaux contrats, nationalité de la majorité des dirigeants voire des détenteurs du capital de la société,…). Certains auteurs (v. L. Levy, La nationalité des sociétés) invitent à adjoindre au critère juridique un critère économique : celui du « lieu d’exploitation qui s’analyse comme la disposition par une société des moyens matériels (exploitation) et intellectuels (centre de décisions) de promouvoir elle-même, dans son propre intérêt, son but social et cela même si elle reçoit des directives générales de l’extérieur ».

La notion revêt encore une importance dans le domaine des procédures d’insolvabilité. Le Règlement n°1346/2000 (29.05.2000) – et le nouveau Règlement 2015/848 (20.05.2015) – se réfère à la notion de « centre des intérêts principaux » (Centre Of Main Interests). Les tribunaux français l’ont assimilé à la notion de siège réel en retenant des critères néanmoins plus étendus (T.C. Nanterre, 3ème ch., 15.02.2006) : lieu des réunions du conseil d’administration, droit applicable aux principaux contrats, localisation des relations d’affaires avec la clientèle, lieu où est définie la politique commerciale du groupe, existence d’autorisation préalable de la société mère pour la conclusion de certains engagements financiers par la filiale, localisation des banques créancières ou encore gestion centralisée de la politique d’achat, du personnel, de la comptabilité et du système informatique. le Règlement 2015/848 précise que « Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers ». Si le centre des intérêts principaux est présumé être le lieu du siège statutaire, cette présomption ne s’applique que si le siège statutaire n’a pas été transféré dans un autre Etat membre au cours des trois mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (Art. 3).

Les divergences de critères de rattachement à la loi nationale font du transfert transfrontalier de siège au sein de l’UE un sujet délicat lorsque les dirigeants d’entreprises sont localisés dans un autre pays que celui du siège. Il convient donc d’être particulièrement vigilant sur la localisation du siège réel de l’entreprise non seulement au moment de la réalisation d’un transfert de siège mais également en cours de vie sociale. Au sein de l’UE, le recours au statut de la société européenne (SE), issu du Règlement n°2157/2001 (8.10.2001), assure non seulement de pouvoir effectuer un transfert de siège transfrontalier en toute sécurité juridique avec l’assurance du maintien de la personnalité morale mais aussi oblige à maintenir siège statutaire et siège réel dans le même Etat membre sans entraver la possibilité de maintenir une activité dans le pays de départ (y compris à travers une succursale).

La notion de siège réel du point de vue fiscal

La localisation du siège d’une entreprise présente d’importants enjeux d’un point de vue fiscal dans la mesure où elle détermine pour une large part la résidence fiscale de la société ce qui emporte notamment des conséquences en matière de lieu de taxation des bénéfices, d’application des conventions fiscales bilatérales et d’éligibilité à certains régimes fiscaux particuliers (le régime spécifique, prévu à l’article 221, 2 du Code général des impôts, d’étalement de la plus-value en cas de transfert de siège dans un Etat membre de l’Union européenne est ainsi applicable aux sociétés ayant leur siège ou leur direction effective en France – BOI-IS-CESS-30 n°20).

En droit fiscal interne, la résidence est en principe déterminée en fonction du lieu du siège social statutaire, sous réserve pour l’administration fiscale de se prévaloir du siège réel si ce dernier est différent. L’administration dispose à cet égard de deux fondements permettant d’imposer en France les profits d’une entreprise :

  • l’existence en France du siège de direction effective, qui permet de caractériser la résidence fiscale de la société (article 4 de la convention modèle OCDE) ;
  • l’existence en France d’un siège de direction, qui permet de caractériser la présence en France d’un établissement stable d’une société étrangère (articles 5 et 7 de la convention modèle OCDE).

La localisation du siège de direction effective ou d’un siège de direction revêt une importance particulière au regard de l’allocation du profit entre la France et l’Etat étranger. De cette localisation dépend en effet la part des profits de l’entreprise attribuée en France (article 4 et/ou 7 de la convention modèle OCDE).

L’administration fiscale française pourrait ainsi être tentée, si la localisation du centre de décision de l’entreprise est en France, de faire de l’entreprise exploitée en France l’entrepreneur et de n’allouer à l’étranger qu’une rémunération de routine.

La notion de siège de direction effective recouvre largement celle de siège réel. La France a ainsi fait une observation sous les commentaires OCDE (n°26.3 sous l’article 4 de la convention modèle OCDE) prévoyant que « le siège de direction effective est le lieu où sont prises les décisions stratégiques en matière de gestion et de politique industrielle ou commerciale nécessaires à la conduite des affaires de l’entreprise. Le siège de direction effective sera normalement le lieu où la personne, ou le groupe de personnes, de rang le plus élevé (par exemple le Conseil d’administration) prend ses décisions […] ».

Cette conception a également été retenue dans les commentaires administratifs relatifs à la convention fiscale franco-algérienne (BOI-INT-CVB-DZA-10-20120912 n°170) et reprise par la jurisprudence (CE, 10e et 9e s.-s., 16 avril 2012, n° 323592, Paupardin).

En pratique, il est toutefois à noter que la qualification par l’administration fiscale du siège de direction effective en France est plus rarement mise en œuvre en cas de contrôle que la qualification d’un établissement stable. La recherche du siège de direction effective en France n’intervient généralement que lorsque l’activité de l’entreprise est poursuivie en totalité ou en grande partie depuis la France et que cette dernière ne dispose pas de véritable substance à l’étranger. Cela peut notamment être le cas dans l’hypothèse d’une restructuration transfrontalière n’emportant pas de transfert de fonctions ou d’actifs vers le pays d’accueil en l’absence d’activité préalable ou nouvellement développée de cette entreprise dans ledit pays. Il est donc, dans un tel cas, fondamental de s’assurer que le siège de direction effectif de l’entreprise a bien été transféré à l’étranger, et que la société dispose dans le pays d’accueil d’un niveau de substance suffisant.

La question de la substance est d’ailleurs particulièrement sensible en cas de transfert de siège d’une société holding mixte, transfert qui peut entrainer d’importantes difficultés pratiques. Un certain nombre de mesures sont à cet égard susceptibles d’être mises en œuvre afin de s’assurer du niveau de substance de la holding à l’étranger : location d’un bureau au nom de la société, ouverture d’un compte bancaire localement, y signer les contrats et autres documents importants, y employer des managers qui résident sur place, tenir les réunions du conseil d’administration et les assemblées d’actionnaires localement, etc. A ce titre, il est à noter que ces critères sont ceux qu’a, par le passé, utilisés la jurisprudence pour refuser l’octroi de certains dispositifs (régime mère-filles notamment).

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