Typologie des cas de redressements dans le cadre des opérations de restructuration et plus particulièrement des opérations de Leverage Buy Out (LBO)

Éric Quentin
Avocat Associé
Hoche Société d’Avocats
Intervenant EFE, formation « Redressements fiscaux » 23 novembre 2011, Paris

Une des particularités des opérations de Leverage Buy Out (LBO) et, plus généralement, de bon nombre d’opérations de restructuration réalisées au sein des groupes réside dans la création d’une société holding dite de reprise qui va s’endetter pour financer le rachat des titres de la société cible, le tout s’accompagnant de la mise en place d’une intégration fiscale entre la société holding de reprise, la société cible et les filiales de celle-ci, du moins lorsqu’elles sont françaises, soumises à l’impôt sur les sociétés et leur capital détenu à 95 % au moins par la société holding.

L’administration fiscale a tendance depuis plusieurs années à remettre en cause les avantages fiscaux dont est susceptible de bénéficier une société s’il apparait que la constitution de cette société s’inscrit dans le cadre d’un montage artificiel ayant pour objet d’atténuer ou d’éluder sa charge fiscale ou si l’existence de cette société ne présente pas d’autre d’intérêt que l’avantage fiscal réalisé.

Les autorités fiscales, comme la jurisprudence nationale et communautaire, s’attachent dans une telle hypothèse à s’assurer que la société en cause présente une véritable « substance économique » et non un caractère fictif et que ses organes sociaux fonctionnent « normalement ».

S’agissant de sociétés holding dont l’activité se limite par essence à la gestion de leurs participations, il est évident que la notion de substance ne peut être appréciée selon une grille de lecture identique à celle d’une société dont l’objet social serait plus opérationnel et qui aurait notamment vocation à la réalisation d’activités commerciales ou industrielles tandis qu’une société holding ne dispose que de revenus essentiellement passifs (dividendes, intérêts…).

Très récemment, dans une décision « Bourdon » rendue le 27 janvier 2011 (n° 320313), le Conseil d’État s’est prononcé sur l’absence d’activité économique réelle d’une société constituée dans le cadre d’une opération de LBO lorsque les repreneurs ne sont autres que les anciens associés qui constituent une société holding destinée à racheter une partie de leurs titres afin de réaliser leur patrimoine et de dégager des liquidités, schémas fréquents qui sont systématiquement couplés avec une option pour le régime de l’intégration fiscale par la société holding créée pour les besoins de la cause (cf. supra).

L’administration fiscale avait remis en cause le montage réalisé sous l’angle de la procédure de régression des abus de droit (LPF article 64) considérant que ce montage avait eu pour seul objectif d’organiser la distribution des bénéfices de la société cible au profit de ses anciens associés en leur permettant d’éluder l’application du taux progressif de l’impôt sur le revenu en lui substituant l’application du taux proportionnel de 16 % applicable à l’époque à la taxation des plus-values de cession de droits sociaux.

Le Conseil d’État a réfuté cette analyse et a considéré, au regard des circonstances de fait de l’affaire qui lui était soumise, que nonobstant le fait que la société holding n’avait pas d’autre activité économique que la détention de titres de la société cible, l’opération en cause présentait un véritable intérêt économique puisque :

– La création de la société holding présentait pour les associés un intérêt d’ordre financier et patrimonial durable en permettant à cette société de dégager une capacité d’emprunt supérieure à celle de ses associés en obtenant dans les meilleures conditions des financements extérieurs pour le développement de sa filiale ;

– La création de cette société holding facilitait la création ou l’acquisition éventuelle d’autres entreprises, par le recours à l’emprunt, en apportant en garantie ses actifs propres et en préservant ainsi les éléments de patrimoine de ses associés (au cas particulier, le prêt bancaire était garanti par le nantissement des titres de la société cible).

L’intérêt de cette décision est de faire ressortir que la création d’une pure société holding de participation de rachat (aucune « activation » de la holding n’étant intervenue au cas particulier contrairement à ce qui est prévu dans la plupart des schémas de LBO afin de permettre la récupération de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les frais liés à la transaction) ne peut être qualifiée ipso facto de « montage artificiel » lorsque cette création se situe dans le cadre d’une opération présentant un intérêt financier et économique.

Dans l’affaire « Nordstrom European Capital Group », le tribunal administratif de Montreuil (décision du 16 juin 2011) a retenu une approche identique à celle de la Haute Assemblée et s’est refusé à considérer que la société holding de reprise créée par la société Nordstrom pour acquérir les titres de la société Façonnable présentait un caractère fictif inspiré par un but exclusivement fiscal.

Au demeurant le même tribunal, par un jugement devenu définitif en date du 3 février 2011, a considéré qu’était légitimement déductible des résultats fiscaux de la société holding de reprise, le « sponsor fee » versé à la société de gestion des fonds d’investissement ayant participé au schéma de reprise. Cette décision pourrait être de nature à mettre un terme aux nombreux contentieux existants puisque l’administration fiscale s’évertue à remettre en cause la déductibilité de ces commissions versées dans une telle hypothèse en cas de succès de l’opération sur le fondement de l’acte anormal de gestion au motif qu’il ne s’agirait pas d’une charge engagée dans l’intérêt propre de la société acquéreuse mais de celui de ses actionnaires (les fonds d’investissement).

Cette série de décisions de jurisprudence conforte le bien-fondé des opérations de LBO et les nécessaires conséquences fiscales favorables qui en résultent. Cependant ces opérations risquent d’être bien plus affectées par l’extension du dispositif de sous-capitalisation mis en œuvre par la loi de finances pour 2011 lorsque les emprunts bancaires sont garantis par des sociétés « liées » à la société emprunteuse, d’une part, et par la limitation du mécanisme de report en avant des déficits – inspiré du droit allemand – dans le cadre du plan de réduction des déficits publics, d’autre part. Mais ceci est une autre histoire…

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