Interview de Gradzig El Karoui

Gradzig El Karoui
Chef du bureau CF2, Sous-direction du Contrôle fiscal
Direction générale des finances publiques
Intervenant EFE, formation « Redressements fiscaux » 23 novembre 2011, Paris

La Rédaction Analyses Experts : Les praticiens constatent depuis quelques années un renforcement du contrôle fiscal des gains réalisés par les cadres et dirigeants de sociétés dans le cadre de leur « management package » et déclarés habituellement dans la catégorie des plus-values. Y a-t-il une volonté de l’administration de remettre en cause le régime fiscal applicable à ce type de gain ?

Gradzig El Karoui : Nous constatons effectivement que les mécanismes d’intéressement mis en place par les sociétés dans un objectif de fidélisation et de motivation de leurs managers sont de plus en plus sophistiqués. Ils sont très fréquents dans les opérations de rachat « à effet de levier » mais on les retrouve aussi dans les groupes en dehors de toute situation de LBO. L’intérêt pour le manager, tant sur le plan fiscal que social, est que ce gain soit considéré comme une plus-value afin d’éviter le barème progressif de l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales attachées aux salaires.

Cela étant, le législateur a conçu des dispositifs d’intéressement, dont certains sont plus spécialement calibrés pour des managers, qui permettent, sous certaines conditions, de bénéficier d’un traitement fiscal du gain plus avantageux que l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu. Citons parmi les plus couramment utilisés les dispositifs de stock-options et d’attributions gratuites d’actions, ainsi que le régime favorable appliqué à l’intéressement des gestionnaires de fonds du secteur du capital-risque, dit « carried interest ».

L’administration fiscale est donc en droit de penser que si le législateur a pris la peine de créer des dispositifs légaux, qui font d’ailleurs l’objet de fréquentes réformes, modifications ou aménagements, c’est qu’il n’a pas entendu laisser libre cours à d’autres schémas répondant aux mêmes objectifs tout en se soustrayant au cadre légal relativement contraignant qu’il a institué. En effet, si les régimes légaux permettent aux managers de bénéficier d’une fiscalité avantageuse, c’est en contrepartie du respect de certaines contraintes (respect de délais de conservation des titres, respect de plafonds légaux, incompatibilité avec d’autres dispositifs avantageux comme le P.E.A…).

C’est peut-être pour échapper à ces contraintes que des mécanismes qui ne se rattachent à aucun dispositif légal d’actionnariat des salariés et qui peuvent être qualifiés d’« intéressement sauvage », se sont développés. Dans la plupart des cas, on constate que les sociétés en cause (employeur ou actionnaire financier) se sont privées d’un gain important au bénéfice des intéressés et que ceux-ci ont déclaré le profit réalisé dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières.

Or, chaque régime légal prévoit que le non respect des conditions prévues par le dispositif entraîne la déchéance du régime de faveur et l’imposition de la totalité du gain dans la catégorie des salaires. C’est ce qui explique la fermeté de l’administration face à des schémas qui contournent les dispositifs légaux d’intéressement et dissimulent sous le couvert de plus-values de véritables intéressements.

La Rédaction Analyse Experts : En cas de requalification du gain, la catégorie des traitements et salaires est-elle privilégiée par l’administration ?

Gradzig El Karoui : La requalification dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers supposerait que l’avantage accordé par la société constitue une libéralité. Or, le gain qui résulte du « management package » procède au contraire de l’activité déployée par le manager, non pas à titre personnel (auquel cas il pourrait être rattaché à la catégorie des bénéfices non commerciaux), mais en vertu d’un contrat de travail ou d’un mandat social.

Lorsqu’un faisceau d’indices concordant (conditions préférentielles réservées aux managers en cette qualité ou à une société qui les regroupe, par exemple) démontre que le gain réalisé répond ainsi à une logique d’intéressement, c’est bien à la catégorie des traitements et salaires qu’il doit être rattaché.

Le fait que la partie versante ne soit pas l’employeur mais que les gains soient versés aux dirigeants par les « sponsors », c’est à dire par les fonds qui sont des co-investisseurs en capital mais qui sont des tiers par rapport au véritable employeur n’a pas d’incidence sur la qualification retenue dès lors que gain trouve sa source dans le contrat de travail.

La Rédaction Analyse Experts : Une société peut-elle renoncer à la déduction fiscale d’une provision qui répond aux conditions prévues par l’article 39-1-5° du CGI ?

Gradzig El Karoui : En principe, les décisions de gestion régulières traduisent l’exercice, par le contribuable, d’une faculté de choix entre plusieurs possibilités offertes par la loi fiscale.

Ainsi, l’exercice par un contribuable d’une option qui lui est ouverte par la loi fiscale a le caractère d’une décision de gestion.

En matière de provisions, la décision de gestion se situe sur le plan comptable, le contribuable ayant le choix de doter ou non et également de fixer le quantum de la provision à un montant inférieur à celui estimé.

En revanche, l’administration considère qu’une fois comptabilisée, la provision est déductible du résultat fiscal si elle répond aux conditions prévues au 5° du 1 de l’article 39 du CGI dont la rédaction exclut tout caractère optionnel à la déduction fiscale d’une provision. En effet, les conditions prévues par ce texte sont objectives.

Ainsi, une société ne peut renoncer à la déduction fiscale d’une provision dès lors qu’elle avait pris la décision de gestion de la doter comptablement et que cette provision répond aux conditions de déductibilité fiscale.

L’administration s’est, en ce sens, pourvue en cassation contre la décision de la Cour administrative d’appel de Paris du 18 novembre 2010 (n° 09-4821, Sté Foncière du Rond-Point).

Cette analyse est conforme au principe de connexion entre les règles comptables et fiscales qui est consacré par une jurisprudence du Conseil d’État rendue dans le sens d’une plus grande convergence entre fiscalité d’entreprises et comptabilité.

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