Impôt de solidarité sur la fortune et trésorerie

Luc Jaillais
Avocat Associé
CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE
Intervenant EFE, formation « Redressements en gestion de patrimoine » 29 septembre 2011, Paris

Le sujet de la trésorerie des sociétés exerçant une activité éligible à la qualification ISF de « bien professionnel » a toujours constitué un sujet d’intérêt pour les services vérificateurs.

C’est ainsi que certains d’entre eux s’emploient régulièrement à remettre partiellement en cause l’exonération ayant bénéficié à des dirigeants-actionnaires dont les sociétés présentent un poste de trésorerie élevé par rapport à leurs besoins courants. Les vérificateurs estiment pouvoir invoquer à cet égard l’article 885 O ter du CGI selon lequel « seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel ».

Or, le traitement à l’ISF de la trésorerie des sociétés est réglé par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, notamment les arrêts « Lagasse » du 18 mai 1993 (n° 891, RJF 7/93 n°1076) et du 13 janvier 1998 (n° 127 D, RJF 4/98 n° 487), et l’arrêt « Soalhat » du 18 mai 2005 (n° 751 FS-PB, RJF 11/05 n°1319), dont il ressort que sont par principe présumés comporter un caractère professionnel, les liquidités et titres de placement détenus par les sociétés, dès lors que leur acquisition découle de l’activité sociale éligible.

La Cour laisse certes la possibilité à l’administration de renverser cette présomption mais à la stricte condition que celle-ci rapporte la preuve que la société a définitivement renoncé à faire un usage professionnel de ladite trésorerie.

Par une instruction du 12 janvier 2005, l’administration fiscale a retenu une interprétation souple – à son profit – de cette jurisprudence car elle persiste à indiquer que « s’agissant d’une présomption simple, l’administration peut, dans des cas exceptionnels, démontrer que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l’accomplissement de l’objet social ».

Or, le principe posé par la Cour de cassation ne conduit pas à devoir examiner si la trésorerie résultant de l’activité éligible lui est nécessaire en tout ou partie, mais seulement à vérifier si la société a ou non manifesté sa décision ou sa volonté d’en faire définitivement un usage différent. Or, une solution d’attente consistant à réaliser de simples placements financiers ne constitue certainement pas une indication en ce sens et encore moins une preuve.

En outre, si l’instruction prend le soin de préciser que « le fait que les valeurs réalisables à court terme ou disponibles d’une société (y compris les titres de placement) excèdent largement son passif exigible à court terme (y compris les comptes courants d’associés) ne constitue qu’un indice de l’existence éventuelle d’actifs ne revêtant pas un caractère professionnel » et que « cet indice ne peut constituer à lui seul une preuve de nature à renverser la présomption évoquée, l’établissement d’une telle preuve nécessitant en effet la réunion de différents indices concordants, résultant de l’analyse circonstanciée de l’activité de chaque société et de la composition de ses actifs », force est de constater que les services vérificateurs se contentent en pratique de motiver leurs rectifications par le seul fait que la trésorerie disponible excéderait la couverture du besoin en fonds de roulement de l’activité de la société.

Il est vrai que, par un effet d’optique malheureux, un arrêt « Gandois » du 8 février 2005 (n°189 F-D, RJF 6/05 n°631) qui s’est intercalé entre les arrêts précités, a pu donner à penser que la Cour de cassation accordait du crédit à cette thèse. Il est vrai encore qu’un arrêt « Hoquet » très récent (Cass. com. 14 décembre 2010 n° 10-10.139) retient une solution du même type au motif que : « la Cour d’appel a pu déduire du faisceau d’éléments retenu par l’arrêt d’appel que le montant des liquidités et placements financiers figurant au bilan de la société se révélait hors de proportion avec ses besoins en trésorerie et qu’une fraction n’était pas nécessaire à l’activité de celle-ci (…) »

Pour autant, on ne répétera jamais assez que l’arrêt « Gandois », tout comme ce dernier arrêt « Hoquet », constituent de purs arrêts d’espèce. Il résulte en effet de l’examen des arrêts d’appel que le contribuable n’avait pas invoqué à son profit la condition restrictive de renversement de la présomption posée par la Cour de cassation et qu’il s’était défendu exclusivement sur le terrain de l’analyse économique invoquée par l’administration relative au ratio valeurs réalisables à court terme / passif exigible à court terme.

Et, de fait, il était fort possible que d’un point de vue économique, la trésorerie disponible n’était pas nécessaire à la poursuite de l’activité exercée.

En outre, cette question de pur fait ne relevait pas du contrôle de la Cour de cassation. Enfin, il n’appartient en aucun cas à la Cour de cassation de soulever d’office, au profit du contribuable, les moyens de défense qui pourraient lui être favorables mais dont il ne s’est pas prévalu en appel.

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