Application de l’exception Marks & Spencer aux pertes définitives subies par les succursales non résidentes

Dans un arrêt en date du 12 juin 2018 (CJUE 12 juin 2018, aff. C-650/16, A/S Bevola), la CJUE juge que la jurisprudence Marks & Spencer, qui a admis la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes définitives subies par une filiale européenne, est applicable par analogie aux pertes d’un établissement stable non-résident (en l’espèce, une succursale finlandaise).

Pour rappel, les règles de la territorialité de l’impôt sur les sociétés conduisent en principe à n’imposer que les bénéfices réalisés en France mais également à s’opposer à la déduction des pertes issues des entreprises (filiales ou succursales) étrangères. Toutefois, le Conseil d’Etat admet que le principe de territorialité ne fasse pas obstacle à la déduction des aides commerciales (ou financières) accordées à une filiale étrangère dès lors qu’elles sont justifiées par un intérêt propre de la société mère française, tel que le maintien de l’activité de la société française ou la sécurisation de ses débouchés commerciaux.

Dans la présente affaire, la société danoise A/S Bevola possédait un établissement stable en Finlande. Cette succursale finlandaise a cessé son activité en 2009 et ses pertes n’ont pu être imputées en Finlande. Dans ces conditions, la société danoise A/S Bevola a demandé la déduction des pertes, issues de la succursale finlandaise, de sa base imposable à l’impôt sur les sociétés au Danemark. Toutefois, l’administration danoise a refusé d’y faire droit.

Selon la société danoise A/S Bevola, la déduction aurait été possible si les pertes avaient été subies par une succursale nationale alors qu’une telle possibilité de déduction n’existe pas pour les pertes des succursales établies dans d’autres Etats membres. Ce qui est, selon elle, constitutif d’une restriction à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE.

Dans la présente décision, la CJUE assimile le traitement fiscal des établissements stables non-résidents à celui des filiales étrangères en ce qui concerne la déduction des pertes définitives.

En ce sens, la Cour reprend les critères dégagés par la jurisprudence Marks & Spencer (hypothèse des pertes de filiales européennes) pour l’appliquer au cas des établissements stables non-résidents (succursales, agences ou autres), puisqu’elle précise au point 60 de l’arrêt que « la déduction de telles pertes ne saurait être admise qu’à la seule condition que la société résidente apporte la preuve du caractère définitif des pertes dont elle demande l’imputation sur son résultat (…) A cet égard, elle doit établir que les pertes en cause satisfont aux exigences énoncées par la Cour au point 55 de l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer ».

Pour la Cour, les pertes attribuables à un établissement stable non-résident acquièrent un caractère définitif lorsque, d’une part, la société qui le détient a épuisé toutes les possibilités de déduction de ces pertes que lui offre le droit de l’État membre où se trouve cet établissement et, d’autre part, a cessé de percevoir de ce dernier une quelconque recette, de sorte qu’il n’existe plus aucune possibilité pour que lesdites pertes puissent être prises en compte dans ledit État membre.

Cette décision, qui nécessitera d’être confirmée par le juge de l’impôt national, devrait permettre à une société française d’imputer les pertes et les déficits définitivement perdus engendrés par les succursales étrangères (par exemple en cas de cessation de l’activité).

Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Delormeau
Diplômé d’expertise comptable

Intervenant au sein des conférences EFE

 

Vincent Houang
Avocat à la Cour
NMW Delormeau

 

 

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Pour aller plus loin : notre conférence Fiscalité du groupe du mardi 4 décembre 2018

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