Actualité des prix de Transfert : les prix pratiqués vis-à-vis de distributeurs ne sont pas tels quels comparables à ceux pratiqués envers des clients finaux

transfert

françois thomasFrançois THOMAS
Avocat à la cour
NMW Avocats
Ancien inspecteur des impôts

Dans un récent arrêt du 16 mars 2016 (CE 16 mars 2016, n° 372372 Société Amycel France), le Conseil d’État énonce qu’en matière de contrôle des prix de transfert, l’administration fiscale a l’obligation de démontrer l’irrégularité des prix de ventes pratiqués en examinant les prix pratiqués auprès de clients se trouvant dans une « situation comparable ». Une Cour d’appel commet une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si l’écart de prix constaté pouvait s’expliquer par la différence de situation entre les sociétés sœurs qui étaient des distributeurs des produits commercialisés par la Société Amycel France (ci-après la Société) et les clients tiers qui avait la qualité de « consommateurs finaux ».

Pour rappel, lorsqu’une entreprise traite avec un tiers, client ou fournisseur, les conditions de leur accord sont le résultat d’une négociation dans le cadre des pratiques de ce marché. Mais lorsque l’entreprise appartient à un groupe et traite avec d’autres membres du même groupe, a fortiori s’ils sont situés hors du territoire sur lequel l’État exerce sa souveraineté fiscale, il est naturel que l’administration fiscale soupçonne les membres d’une même groupe, liés par une communauté d’intérêts, de s’arranger entre eux pour établir les conditions de leur transaction non pas en fonction de l’équilibre auquel conduit l’opposition de leurs seuls intérêts, mais dans le but de privilégier l’intérêt du groupe face à l’intérêt d’une troisième partie qui n’est pas invitée à la table des négociations : l’administration fiscale.

Ainsi, lorsqu’il procède à la vérification de comptabilité de la filiale française d’un groupe qui vend une partie de sa production à des sociétés sœurs situées hors de France, un inspecteur des impôts se demandera si les prix pratiqués n’aboutissent pas à un transfert de profit à l’étranger. Si la société vend les mêmes produits ou prestations à des tiers, créant ainsi des « comparables internes », le vérificateur s’attachera à comparer ces prix réputés constituer le « prix de marché » avec les prix pratiqués vis-à-vis des sociétés dépendant du même groupe.

L’article 57 du CGI lui permet, en effet, de rehausser les résultats de la société française. Cet article, qui trouve sa source dans l’article 76 de la loi du 31 mai 1933 portant fixation du budget général de l’exercice 1933 (JO 1er juin 1933), dispose en effet que « Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (…) ».

Le vérificateur sera d’autant plus enclin à s’interroger sur l’éventualité d’un transfert de bénéfices à l’étranger si la filiale française affiche des résultats médiocres, voire déficitaires.

Tel était précisément le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté. La société Amycel France avait pour activité la production et la commercialisation de mycélium. Suite à une vérification de comptabilité, l’administration fiscale avait mis à la charge de la Société des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés (IS) au titre des exercices 2007 et 2008 du fait de la remise en cause des résultats déficitaires déclarés de 1998 à 2001.

Le service vérificateur avait relevé que la société Amycel France, qui avait pour société mère une société américaine appartenant au groupe Monterrey Mushrooms, vendait à ses sociétés sœurs situées au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, Amycel UK et Amycel NL, à des prix inférieurs à ceux pratiqués lorsque la société Amycel France vendait à ses clients dépourvus de liens de dépendance avec elle ou le groupe Monterrey Mushrooms.

La société Amycel France avait vainement contesté les redressements devant le Tribunal administratif d’Orléans (29 nov. 2011), puis devant la Cour administrative d’appel de Nantes (25 juil. 2013), mais le Conseil d’État (9ème et 10ème sous sections réunies, 16 mars 2016, n°372372 Société Amycel France) a annulé l’arrêt de la Cour de Nantes pour erreur de droit et renvoyé à cette même Cour pour qu’il soit statué à nouveau sur le fond.

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’État rappelle que : « lorsqu’elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres clients dépourvus de clients de dépendance avec elle [comparables internes], soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance [comparables externes], sans que cet écart s’explique par la situation différente de ces clients, l’administration doit être regardée comme établissant l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes ; ».

Le Conseil d’État ajoute ensuite : « qu’à défaut d’avoir procédé à de telles comparaisons, l’administration n’est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu’une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu ; ».

C’est pourquoi le Conseil d’État a jugé que la Cour d’appel avait commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si l’écart de prix constaté pouvait s’expliquer, comme le soutenait la Société, par la différence de situation entre les sociétés sœurs qui étaient des distributeurs et les clients tiers qui étaient des consommateurs finaux.

En matière de prix de transfert, la difficulté à trouver des prix comparables entre parties non liées pour des transactions faites à des conditions identiques oblige à procéder à des corrections pour tenir compte, par exemple, des différences en termes de conditions de paiement (délai, devise, …) ou d’incoterms, ou lorsque la transaction ne se situe pas au même niveau de la chaine de distribution, ce qui dénature la méthode qui perd ainsi de son objectivité. En l’espèce, l’administration aurait dû procéder à de telles corrections, pour prétendre comparer des prix de gros à des prix au détail.

Même avec ces correctifs, la difficulté à trouver des prix comparables réduit sensiblement le champ d’application de la méthode CUP (« Comparable Uncontrolled Price »), et oblige souvent à se tourner vers d’autres méthodes correspondant à une approche indirecte de ce que devrait être le prix de pleine concurrence.

La méthode du prix de revient majoré (« Cost Plus ») ou la méthode du prix de vente minoré (« Resale Minus ») reportent l’objet de la recherche de comparables non plus sur les prix mais sur les taux de marge brute, et enfin, la méthode TNMM (« Transactional Net Margin Method ») s’éloigne encore davantage du prix pour s’intéresser au taux de marge nette.

La méthode TNMM, pourtant très largement utilisée tant par les entreprises que par les administrations fiscales, met l’accent sur le résultat de l’entreprise testée (« Tested Party ») à la clôture de l’exercice, et tend à perdre de vue que l’opération vise, bien qu’indirectement, à apprécier la détermination des prix pratiqués entre entreprises liées et non le résultat lui-même ; ce phénomène est d’autant plus vrai lorsque l’entreprise a recours à des ajustements de prix par voie de notes de débit ou de crédit globales lorsque les prix pratiqués n’ont pas produit le niveau de résultat visé.

François Thomas est un ancien inspecteur des impôts. Il a travaillé successivement chez Thieffry & associés, Lefebvre Pelletier & associés, Landwell et Ernst & Young, puis en tant que fiscaliste groupe chez Michelin, dont deux années comme responsable fiscalité et douane pour l’Asie, basé à Singapour, avant de s’inscrire à nouveau au barreau de Paris et rejoindre le cabinet NMW. Il traite des questions de prix de transfert depuis le début des années 90, et il a développé une riche expérience de terrain au cours des années passées dans l’industrie.

nmwavocats.com

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