Le point de vue de Patrick Michaud – Le rachat de son capital par emprunt : normal ou pas normal?

Patrick MichaudPatrick Michaud
Avocat fiscaliste,
Ancien membre du conseil de l’ordre,
Ancien inspecteur des finances publiques,
Expert en droit fiscal et droit douanier.
Rédacteur en chef de la lettre « Études fiscales internationales »
Découvrez également le programme de la conférence «10 pistes pour dynamiser son épargne » les 19-20 mars 2015

Les frais financiers déduits par une société afin de se racheter ses propres actions et réduire son capital sont ils déductibles dans le cadre d’un acte (a)normal de gestion ?

Une première : des salariés contre un dividend recap –  l’affaire FPEE 

Nous savons tous que des distributions de dividendes ou des rachats d’actions peuvent être financés par des emprunts.

Cette situation a fait l’objet de la « Une » de la presse lorsque des fonds ont exigé de dirigeants d’emprunter et que ceux-ci refusant ont été révoqués, ce qui a provoqué la colère du personnel.

La source du conflit remonte à l’opération de dividend recap envisagée au printemps 2014 par les actionnaires. Le montage élaboré par Lazard et Mayer Brown prévoyait de lever 220 millions d’euros de dette supplémentaires afin de distribuer 130 millions aux actionnaires. Une opération à laquelle se sont opposés Cécile Sanz et Marc Ettienne. Ils la jugeaient contraire aux intérêts de la société dans le contexte économique actuel. Selon Lazard, le ratio de levier serait remonté à 5,3 fois fin 2014, au-dessus des ratios historiques. Ils rappellent aussi qu’un premier dividend recap a eu lieu en 2011, pour un montant de 119 millions d’euros, couvrant 70% de l’investissement réalisé par les fonds deux ans auparavant.

 L’Affaire « YOPLAIT » (CAA Versailles 24.01.12)

La CAA de Versailles a répondu par l’affirmative sous les conditions traditionnelles

Les tribunes sur l’acte anormal de gestion

Conseil d’Etat, 8 / 9 SSR, du 29 juillet 1983, 34675, publié au recueil Lebon

CAA de Versailles, 1ère Chambre, 24/01/2012, 10VE03601, n

Les faits

A l’issue de diverses opérations de restructuration, notamment capitalistiques, la SAS YOPLAIT, anciennement dénommée Sodima International et qui exerçait l’activité d’exploitation de la marque et du savoir-faire Yoplait, était détenue à hauteur de 74,68 % et pour 15 097 500 titres, par la société Sodiaal International, et, à hauteur de 25,32 % et pour 5 119 458 titres, par la société Financière Tramontane ;

Par une délibération en date du 4 juin 2002, l’assemblée générale extraordinaire de la SA Sodima International a décidé une réduction de capital et autorisé le conseil d’administration à procéder au rachat d’actions propres en vue de leur annulation ;

Subséquemment, ledit conseil d’administration a procédé à la réduction de capital par voie préalable d’une offre de rachat portant sur 9 978 042 actions adressée à tous les actionnaires de la société ; que cette offre n’a été acceptée que par Sodiaal International, et expressément rejetée par Financière Tramontane ; que l’opération d’annulation a eu pour effet de ramener le capital social à 10 238 916 titres, soit exactement le double du montant de la participation détenue par la société Financière Tramontane, ainsi devenue actionnaire à 50 %, à parité avec la société Sodiaal International ;

La société Sodima International a déduit des bénéfices de l’exercice 2002 les frais qu’elle avait exposés à l’occasion du rachat de ses propres actions ;

La position de l’administration:  à l’issue d’une vérification de comptabilité ayant porté sur la période du 1er janvier 2001 au 30 juin 2003, l’administration, estimant que l’opération avait été menée dans le seul intérêt de la société Financière Tramontane qui, sans bourse délier, avait vu le pourcentage de sa participation augmenter, a, sur le fondement de l’acte anormal de gestion, rapporté aux résultats réalisés par la société Sodima International au cours de l’exercice 2002, les frais qu’elle avait exposés à l’occasion du rachat de ses propres actions et réduit, à due concurrence, le déficit constaté par la société au titre dudit exercice ;

La SAS YOPLAIT a présenté le 20 novembre 2007 une réclamation en vue d’obtenir le rétablissement de ses déficits reportables au montant de 1 984 400 euros ;

A la suite du rejet de cette réclamation par décision du 27 août 2008, la société a réitéré ses prétentions devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a rejeté sa demande le 3 septembre 2010;

La SAS YOPLAIT relève appel.

 L’analyse fiscale

Il n’est pas contesté que l’opération de réduction de capital par voie de rachat de titres a été à l’origine de charges financières pour la SAS YOPLAIT et a, dans le même temps, permis à la société Financière Tramontane, sans exposer la moindre dépense, de porter à 50 % le niveau de sa participation dans le capital de la société requérante ; que, toutefois, la SAS YOPLAIT fait valoir que l’opération de rachat de ses propres actions n’était pas dépourvue de contrepartie pour elle dès lors qu’elle s’inscrivait dans un contexte global de réorganisation de la branche d’activité produits laitiers frais de Sodiaal International, rendue nécessaire par un besoin de financement de cette société et que ledit rachat n’était que l’ultime étape d’une opération beaucoup plus vaste de partenariat stratégique ayant permis d’améliorer le résultat consolidé du groupe Yoplait ; que cette réorganisation s’est inscrite dans le cadre d’un partenariat négocié en 2002 avec la société Financière Tramontane moyennant le partage du contrôle de la SAS YOPLAIT ; que ce partenariat s’est accompagné du transfert à cette dernière de la totalité des éléments corporels et incorporels dépendant de la branche produits laitiers frais du groupe Sodiaal et a permis d’accéder aux financements nécessaires au maintien et au développement de cette branche d’activité ; qu’il n’est pas sérieusement allégué que, par elle-même, l’opération de restructuration, à l’issue de laquelle la SAS YOPLAIT est devenue une société holding regroupant par filialisation les activités de ladite branche, ait été étrangère à l’intérêt de cette société, le service admettant d’ailleurs qu’elle poursuivait un objectif de rationalisation économique et fiscale ainsi, au surplus, que l’a estimé la commission départementale des impôts qui, dans son avis du 2 avril 2007, a considéré que la société avait personnellement retiré une contrepartie positive de cette nouvelle organisation.

 La décision

Ainsi, et dès lors qu’il peut être tenu pour établi que la réduction de capital par voie de rachat d’actions réalisée par la requérante constituait la dernière étape du partenariat conclu entre l’actionnaire historique et la société Financière Tramontane, lequel conditionnait la restructuration sus-décrite, cette opération ne peut être regardée comme étant dépourvue de contrepartie pour la SAS YOPLAIT ;

C’est par une inexacte application des principes susrappelés que le service a rejeté, comme ne relevant pas d’une gestion commerciale normale, la déduction des charges correspondantes ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0811640 du 3 septembre 2010 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : Le résultat déficitaire de l’exercice clos en 2003 de la SAS YOPLAIT est rétabli au montant de 1 984 400 euros et le résultat d’ensemble du groupe Yoplait dont elle s’est constituée société de tête est rectifié en conséquence.

Retrouvez également le programme de la conférence consacrée aux « 10 pistes pour dynamiser votre épargne » qui se déroulera le jeudi 19 mars prochain: PROGRAMME

 

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