Procédure fiscale : des notifications contraignantes pour l’administration

Bernard Hatoux
Doyen de la Cour de cassation
Intervenant EFE à la conférence « Redressements fiscaux » du jeudi 27 novembre 2014

La Cour de cassation, combinant les règles de la solidarité de paiement de l’impôt et les principes de contradiction et de loyauté, a dégagé des obligations de notification à la charge de l’administration fiscale. Dans son dernier état, sa jurisprudence affecte les procédures d’imposition et de recouvrement.

Dans la procédure d’imposition : c’est la jurisprudence « Marie/Rigault » qui a fixé la règle. «Si l’administration fiscale peut choisir de notifier les redressements à l’un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure doit être contradictoire et la loyauté des débats oblige l’administration à notifier, en cours de procédure, à l’ensemble des personnes qui peuvent être poursuivies, les actes de la procédure les concernant ». (Cass.com. 18 novembre 2008, n° 07-19.762 (1188 F-P+B), DGI c/ Marie et a.: Bull.civ. IV n° 195, RJF 2/09 n° 174, BGFE 1/09; Cass.com. 7 avril 2010, n° 09-14.516 (416 F-D): RJF 7/10 n° 750 ; Cass.com. 12 juin 2012, n° 11-30.396 (658 F-P+B) et n° 11-30.397 (659 F-D): Bull.civ. IV n° 119, RJF 10/12 n° 963 ; Cass.com. 26 février 2013, n° 12-13.877 (225 FS-P+B) : Bull.civ. IV n° 30, RJF 6/13 n° 669).

Il en résulte qu’après engagement de la procédure d’imposition par notification à l’un des débiteurs solidaires, avec interruption de la prescription du droit de reprise à l’égard de tous, l’administration doit notifier, avant la fin de cette procédure par la mise en recouvrement, tous les actes, y compris la proposition de rectification, à toutes les personnes susceptibles d’être poursuivies comme débiteurs solidaires, ces notifications ouvrant aux intéressés tous les recours prévus par la loi fiscale. La méconnaissance de cette exigence entraîne l’irrégularité de la procédure d’imposition erga omnes, y compris le débiteur à l’égard de qui la procédure a été suivie.

Les principes affirmés sont applicables dans tous les cas où la loi fiscale institue des solidarités de paiement d’un impôt relevant de la compétence de l’ordre judiciaire (LPF art. L 199), que les débiteurs soient des personnes physiques ou morales. Citons comme exemples : solidarité de paiement des cohéritiers (CGI art. 1709), des donataires et donateurs ou des parties à la cession de titres sociaux (art. 1705), des époux et partenaires d’un PACS pour l’ISF (art. 1723 ter-00 B), parties à l’abus de droit. La détermination des débiteurs solidaires est assez délicate dans le dernier cas puisque, outre les parties aux actes requalifiés, il faut déterminer « l’instigateur principal » et le « bénéficiaire principal » (CGI art. 1729, b).

Le nombre d’arrêts rendus par la Cour de cassation sur ces principes semblerait montrer que l’administration a méconnu la jurisprudence ou y a résisté. Il ne lui reste qu’à s’y conformer. Cette situation ne peut qu’inciter les contribuables et leurs conseils à vérifier systématiquement la régularité des procédures au regard de cette jurisprudence.

Dans la procédure de recouvrement : le principe a été récemment transposé de la manière suivante : « Si l’administration peut notifier les titres exécutoires et actes de poursuite à l’un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure doit cependant être contradictoire, la loyauté des débats l’obligeant à notifier, en cours de procédure, à l’ensemble des personnes pouvant être poursuivies, les actes de la procédure les concernant. » (Cass.com. 25 mars 2014, n° 12-27.612 (327 FS-P+B) : Bull.civ. IV n° 60, RJF 6/14 n° 634)

Il en résulte qu’après engagement de la procédure par notification des titres exécutoires et des actes de poursuite à l’un des débiteurs solidaires, avec interruption de la prescription du délai de recouvrement à l’égard de tous, le comptable qui entend poursuivre les autres débiteurs solidaires en leur opposant ces actes doit les leur notifier personnellement. La méconnaissance de cette exigence entraîne l’inopposabilité aux intéressés des titres et actes qui ne leur ont pas été notifiés, sans mettre en cause la régularité de la procédure de recouvrement à l’égard de ceux qui ont reçu les notifications. Cette économie du régime diffère de celle prévalant en matière d’assiette. En effet, la solution ne contredit pas l’interruption de la prescription à l’égard de tous les débiteurs solidaires, elle ne met pas en cause la régularité de la procédure de recouvrement envers l’autre débiteur solidaire, elle ne parait pas ouvrir un droit contentieux à l’autre débiteur solidaire et elle n’a pas d’incidence sur la procédure d’imposition.

En matière d’impôt sur le revenu, cette position est conforme à l’article L. 54 A du LPF, selon lequel « chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l’impôt dû à raison de l’ensemble des revenus du foyer. Les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l’un des conjoints ou notifiés à l’un d’eux sont opposables de plein droit à l’autre».

La compétence ordinale sur ce principe a posé une question qui a conduit la Cour de cassation à rappeler que, pour l’application de l’article L 281 du LPF qui fixe les compétences respectives des juges administratif et judiciaire, la notion de « régularité en la forme » s’étend à tous les cas qui ne sont pas expressément renvoyés au juge de l’impôt. Tel est le cas en l’occurrence dès lors que le moyen tiré du défaut de notification des actes au débiteur poursuivi est une exception personnelle, qui entre dans les prévisions de l’article 1208 du code civil, et, n’étant pas renvoyée au juge de l’impôt, ressortit à la compétence du juge de l’exécution.

Ces questions de procédure seront évoquées au cours du séminaire EFE relatif aux redressements fiscaux du 27 novembre 2014.

2 Commentaires

  • Notion très intéressante qui mérite à être connu.
    J’ai été surpris de voir que les époux sont si étroitement liés dans ce type de procédure.
    Très intéressant. Merci

  • Les organismes de recherche a but non lucratif sont dispenses de cette obligation de notification, ils doivent cependant etre reconnus comme etablissement scientifique par un arrete royal delibere en Conseil des ministres avant que la dispense de versement puisse etre appliquee.

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