Le régime d’imposition des produits financiers des CARPA (CE 4 juillet 2014 n°361316, CARPA Lyon et Ardèche)

Olivier FouquetOlivier Fouquet
Président de section
Conseil d’Etat
Intervenant EFE à la conférence « Redressements fiscaux » du jeudi 27 novembre 2014 à Paris

Le litige tranché par le Conseil d’État dans sa formation de plénière fiscale (réunissant les quatre sous-sections de la Section du Contentieux), aux conclusions conformes du rapporteur public Benoît Bohnert, n’est pas anodin, ni pour les avocats, ni pour le régime d’imposition des associations.

La question posée était-celle de savoir si les produits financiers nés du placement par les caisses de règlements pécuniaires des avocats des fonds qui leur sont confiés, devaient être imposés au taux réduit de l’impôt sur les sociétés, en tant que revenus patrimoniaux d’un organisme à but non lucratif. La cour administrative d’appel avait répondu que oui et le Conseil d’État vient de répondre que non.

La solution de la cour, désapprouvée par les avocats, avait néanmoins recueilli l’assentiment de commentateurs spécialisés dans le droit fiscal tant elle semblait en ligne avec la jurisprudence antérieure. On sait que celle-ci distingue trois secteurs (CE 24 février 1986 n°54683, Association Sainte-Anne, concl. O. Fouquet p.200). Le premier secteur est celui des activités lucratives exercées par l’organisme à but non lucratif, parallèlement à ses activités désintéressées : le produit de ces activités est imposable à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun. Si ces activités ne sont pas exercées à titre accessoire, leur exercice est susceptible de contaminer l’ensemble des activités désintéressées, le total produit par les activités intéressées aussi bien que désintéressées devenant alors imposable. Le deuxième secteur est celui des activités patrimoniales dont les ressources sont imposées au taux réduit de l’impôt sur les sociétés (articles 206,5 et 219 bis du CGI). Le troisième secteur correspond aux activités qui concourent à l’exécution de l’objet non lucratif de l’organisme : leur produit n’est pas imposable. Au regard de cette grille d’analyse, les produits financiers résultant du placement des fonds remis aux CARPA par les avocats pour le compte de leurs clients relevaient-ils du deuxième secteur (imposition à taux réduit en tant que revenus patrimoniaux), ou au contraire du troisième secteur (exonération) ?

L’orientation de la jurisprudence intervenue jusqu’alors semblait plutôt favorable à l’administration. Depuis une décision de Section du 12 février 1988 n°50368, Comité intercoopératif et professionnel du logement (RJF 4/88 n°409, concl. T. Leroy p. 217), la jurisprudence estime que les revenus de capitaux mobiliers dont une association dispose, notamment les produits des placements en attente d’emploi, alors même que l’association n’en n’aurait la disposition qu’à titre de dépositaire, sont imposables à l’impôt sur les sociétés au taux réduit. En revanche ne sont pas imposables les recettes procurées par l’association par une activité indissociable du but non lucratif poursuivi par elle et dont la perception découle, non de la mise en valeur du patrimoine ou du placement des sommes disponibles, mais de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social.

Cette distinction est claire intellectuellement, mais, en pratique, elle n’en est pas pour autant facile à mettre en œuvre. Dans un tel cas, les exemples jurisprudentiels sont d’une grande importance. Or justement, la jurisprudence relative aux comités interprofessionnels du logement paraissait être un exemple susceptible de fonder un raisonnement par analogie pour résoudre le cas des CARPA. En effet, le Conseil d’État a jugé que les intérêts des comptes à terme sur lesquels les CIL placent les fonds qu’ils collectent au titre de la participation obligatoire des employeurs à l’effort de construction étaient imposables au taux réduit de l’impôt sur les sociétés (CE 26janvier 1990 n°91423, Comité vendéen : RJF 3/90 n°233).

L’analogie avec les CARPA était forte. Dans les deux cas, le dépôt des fonds auprès des organismes est obligatoire, mais ces fonds n’appartiennent pas aux organismes qui en sont seulement dépositaires. Dans les deux cas , les produits financiers servent à financer les missions désintéressées qui incombent aux organismes. Pourquoi dès lors une solution différente et plus favorable (exonération) pour les CARPA ? Pourquoi les produits financiers résultant du placement des sommes en dépôt sont-ils des revenus patrimoniaux dans le cas des CIL, mais sont inhérents à la réalisation d leur mission désintéressée dans le cas des CARPA ?

À première vue, on aurait pu imaginer que la décision du 4 juillet 2014 traduit un assouplissement de la jurisprudence sur l’imposition des organismes désintéressés, étendant le secteur exonéré. L’examen des excellentes conclusions du rapporteur public montre qu’il n’en est rien.
Plusieurs circonstances particulières de l’affaire ont pu jouer. La plus importante est sans doute la conception même que le législateur avait des CARPA lorsqu’il a adopté le 9° de l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971.

Dans l’espèce CE 17 mai 1999 n°181769 et s, Syndicat des avocats de France, par laquelle le Conseil d’État a statué sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret du 5 juillet 1996 modifiant le décret du 27 novembre 1991, pris pour l’application de la loi susmentionnée du 31 décembre 1971, le commissaire du gouvernement Francis Lamy exposait que les intérêts générés par le placement des fonds des CARPA sont le produit d’une activité d’intérêt général pour l’exercice de laquelle le législateur a confié aux CARPA un monopole, de sorte qu’il n’y a pas lieu de distinguer au sein des mission accomplies par les CARPA une activité de placement qui s’exercerait en sus. D’ailleurs, à défaut de placement des fonds dont elles sont dépositaires, les CARPA ne pourraient pas financer, ni par suite exécuter les missions que le législateur leur a confiées. Il ne s’agit pas de revenus patrimoniaux qu’un organisme désintéressé choisit d’affecter à la mission que son objet statutaire lui assigne, il s’agit du mode même de financement des missions des CARPA voulu le législateur.

Pour le Huron au Palais-Royal, la nuance paraîtra sans doute excessivement subtile. Il pensera sans doute que le Conseil d’État n’a pas voulu affaiblir indirectement la situation économique d’une profession dont les difficultés financières sont souvent méconnues. Mais quel que soit le cas de figure, celui d’une subtilité extrême ou celui d’une décision d’espèce, on peut en déduire, sans trop grand risque de se tromper, que la jurisprudence antérieure demeure et qu’elle n’a pas été infléchie. Une décision de plénière fiscale peut ne pas faire jurisprudence.

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