QPC n°2014-404 du 20 juin 2014 : nouvel exemple d’une exception légale se retournant contre le législateur

Pierre Appremont2Pierre Appremont
Associé
& Valérie Farez
Avocat
Cabinet d’avocats Wragge Lawrence Graham & Co
Intervenants EFE à la conférence « Redressements en gestion de patrimoine » le 17 octobre 2014, à Paris

Cette décision, QPC n°2014-404 du 20 juin 2014, concerne la fiscalité applicable aux opérations de rachat de leurs actions réalisées par les sociétés.

En effet, le législateur a cru bon de différencier la fiscalité applicable aux gains résultant pour l’actionnaire du rachat d’actions réalisé par la société émettrice selon les motivations de l’opération.

Ainsi, la règle de principe est que le cessionnaire est normalement imposable dans la catégorie des revenus distribués à hauteur des bénéfices et réserves non encore distribués par la société dont les titres sont rachetés, et le cas échéant pour le solde selon le régime des plus-values (lorsque les titres ont été acquis pour une valeur inférieure au montant des apports).

Par exception, lorsque le rachat d’actions est placé dans le cadre de certains dispositifs légaux (plan de rachat d’actions pour les sociétés cotées, ou d’attribution aux salariés par exemple), la totalité du gain réalisé par l’actionnaire est imposable en tant que plus-value (article 112-6° du Code général des impôts « CGI »).

Il en résulte une différence de traitement entre les contribuables réalisant la même opération avec un même cessionnaire (i.e. la société) selon le cadre dans lequel cette opération a été placée par la société émettrice des titres.

Le Conseil constitutionnel a donc jugé que  » la différence de traitement entre les actionnaires ou associés personnes physiques cédants pour l’imposition des sommes ou valeurs reçues au titre du rachat de leurs actions ou parts sociales par la société émettrice ne repose ni sur une différence de situation entre les procédures de rachat ni sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi « .

Il en a conclu que le dispositif régi par le 6° de l’article 112 du CGI était contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi posé par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 qui s’oppose à une inégalité de traitement entre deux personnes non justifiée par une divergence de situation ou par une raison d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi.

Le Conseil constitutionnel a abrogé les dispositions du 6° de l’article 112 du CGI et décidé que « lorsque ce rachat a été effectué selon une procédure autorisée par la loi, [les sommes et valeurs] ne sont pas considérées comme distribuées et sont imposées selon le régime des plus-values ».

Pour donner une portée concrète à sa décision, le Conseil constitutionnel a prévu comme le lui permet l’article 62 alinéa 2 de la Constitution :

– Une abrogation différée du texte à compter du 1er janvier 2015,
– Que la loi devait être modifiée pour corriger cette situation ou à défaut de modifications législatives d’ici le 31 décembre 2014 l’ensemble des opérations de rachat de titres réalisé à compter du 1er janvier 2015 sera imposé selon le régime des « revenus distribués/plus-values » rappelé ci-dessus,
– Pour l’année 2014, que la loi pouvait être modifiée jusqu’au 31 décembre de cette année, à défaut la règle prévue pour la période antérieure 2014 serait applicable,
– Pour la période antérieure à 2014, que le régime a priori plus favorable des plus-values devait pouvoir être appliqué dans tous les cas, notamment pour les instances en cours.

Cette décision a une double portée, d’une part au regard des opérations de réduction de capital et d’autre part d’une façon générale, sur la prise en compte de la Constitution et de ce principe d’égalité pour s’assurer de la constitutionnalité des lois fiscales.

Concernant les opérations de réduction de capital réalisée avant le 1er janvier 2014, le contribuable peut déposer une réclamation pour la période non prescrite (c’est-à-dire dans le cas général, avant le 31 décembre 2014 pour un revenu perçu en 2011).

L’intérêt d’envisager une telle réclamation nécessite un examen au cas par cas de l’avantage retiré avec le régime des plus-values par rapport au régime des revenus distribués.

Ce ne sera pas toujours le cas et notamment depuis 2013 lorsque les personnes physiques détenaient leurs actions depuis moins de deux ans, le régime des dividendes permet de réduire l’impôt sur les revenus de 40% alors même que la plus-value est imposable sans abattement.

Concernant les non-résidents, cette requalification pourrait permettre, dans certains cas, d’obtenir la restitution de la retenue à la source éventuellement acquittée sur le gain qualifié de « revenus distribués ».

Par analogie, on peut s’interroger sur l’application de la contribution additionnelle de 3% sur les revenus distribués, acquittée par la société distributrice, pour les opérations de réduction de capital réalisées en 2012 et 2013. En effet, la qualification de plus-value devrait en principe lui éviter d’être soumise à la contribution additionnelle de 3% au titre des revenus distribués.
D’une façon plus générale une telle décision doit nous inciter comme l’a déjà fait depuis de nombreuses années la CJCE concernant les textes communautaires, à avoir un œil plus critique sur la loi fiscale qui peut être contestée dans son essence même si elle contrevient à des dispositions constitutionnelles tel que l’égalité des citoyens devant la loi ou devant les charges publiques sauf à ce qu’une telle inégalité de traitement soit justifiée, hypothèse réservée par le Conseil.

La chasse est donc ouverte ! Le goût du législateur pour les régimes d’exception et les niches fiscales ne pouvant que conduire à de telles inégalités de traitement pas toujours justifiées, cette jurisprudence devrait trouver d’autres cas d’application.

Laisser un commentaire