La TVA en 3 questions – Panorama Fiscal 2016/2017

delphine-bouchetDelphine Bouchet
Avocate Associée
Arsène Taxand

 

 

olivier-galerneauOlivier Galerneau
Avocat – Directeur associé
Ernst & Young Société d’Avocats

Intervenants à la conférence « Panorama Fiscal 2016/2017 », le mardi 24 et le mercredi 25 janvier 2016 à Paris

« Quelles ont été les décisions majeures qui ont marqué l’année 2016 en termes de TVA ? »

Dans la lignée de la décision Air France-KLM de la Cour de Justice (CJUE, 23 décembre 2015, Aff. C 250/14 et C 289/14, Sté Air France-KLM et Hop ! Brit Air SAS) reprise par le Conseil d’État (CE, 13 avril 2016, n° 365172, Sté Air France KLM et n° 365173, Sté Brit Air), la décision du Conseil d’État SA MK2 Vision (CE, 15 avril 2016, n° 373591, SA MK2 Vision) est venue préciser le traitement TVA applicable aux sommes conservées par l’exploitant d’une salle de cinéma, lorsque le client n’utilise pas ses tickets ou ses entrées.

Selon le Conseil d’État, de telles sommes ne visent pas à indemniser l’exploitant d’un préjudice qu’il aurait subi du fait de la défaillance du client, même si le client n’a pas effectivement assisté à l’ensemble des projections auxquelles il avait droit. Ainsi, ces sommes ne constituent pas des indemnités non soumises à la TVA.

En revanche, ces sommes doivent être regardées comme constituant la rémunération de la prestation de services correspondant au droit du client de bénéficier de l’exécution des obligations découlant du contrat conclu avec l’exploitant des salles de cinéma, indépendamment du fait qu’il mette en œuvre ce droit, l’exploitant réalisant la prestation dès lors qu’il met le client en mesure d’assister aux projections de films. En conséquence, le Conseil d’Etat conclut que les sommes conservées par l’exploitant correspondent à la contre-valeur effective d’une prestation de service. De telles sommes doivent donc être soumises à la TVA.

Le Conseil d’Etat a également été amené à repréciser les contours des droits à déduction pour les sociétés holding mixtes mais également à se prononcer sur l’étendue des droits à déduction des EHPAD (voir ci-dessous).

 

« Les problématiques de TVA dans les holdings ont encore une nouvelle fois donné lieu à de la jurisprudence. Dès lors, se dirige-t-on vers un épuisement du contentieux ? » 

Quelques grands principes gouvernent le mécanisme de la TVA, dont le principe de neutralité de la taxe. C’est en application de ce principe qu’un assujetti qui réalise des livraisons de biens ou des prestations de services imposables à la TVA est autorisé à récupérer toute la TVA qui a grevé le prix de revient du bien ou de la prestation.

Si la ligne directrice est claire, en pratique l’exercice des droits à déduction laisse place à de nombreux débats et contentieux. Le Conseil d’Etat au cours de l’année 2016 a ainsi eu l’occasion de rappeler et de préciser le mécanisme du droit à déduction de la TVA qui met en jeu la règle de l’affectation et la notion de frais généraux.

Interrogé, ou plutôt réinterrogé, sur les modalités de déduction de la TVA grevant les frais généraux supportés par une société holding qui participe à la gestion de ses filiales, le Conseil d’État a, dans un arrêt du 20 mai 2016 (n°371940, Sté Ginger), rappelé que ces frais se rapportent à l’ensemble de l’activité de la société et, à ce titre, que la taxe y afférente peut faire l’objet d’une déduction intégrale.

Cet arrêt met fin au débat, né ces dernières années, sur l’incidence de la perception de produits placés hors du champ d’application de la TVA (dividendes) sur l’exercice des droits à déduction d’une société holding mixte.

Il permet également de rappeler des principes pourtant établis de longue date : l’exercice du droit à la déduction de la TVA suppose, en principe, un lien direct et immédiat entre les biens et les services acquis et les opérations taxées.

En pratique et conformément aux principes posés par le juge communautaire, l’existence d’un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est nécessaire pour qu’un droit à déduction de la TVA d’amont soit reconnu à l’assujetti.

L’absence d’un lien direct n’est cependant pas rédhibitoire pour l’exercice d’un droit à déduction : là encore, le juge communautaire est venu à plusieurs reprises préciser que le droit à déduction de la taxe grevant ces frais est admis lorsque les dépenses font partie des frais généraux et sont donc des éléments constitutifs du prix des biens ou services fournis. Ces dépenses entretiennent ainsi un lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité de l’assujetti.

C’est précisément l’application de ces principes qui a conduit la CJUE (16 juillet 2015, aff. 108 et 109/14, Larentia – Minerva) à confirmer que la récupération de la TVA grevant des frais généraux engagés par une société holding qui s’immisce dans la gestion de ses filiales est intégrale, à moins bien entendu que certaines opérations économiques en aval n’ouvrent pas droit à déduction, l’exercice des droits à déduction est limité en application de prorata de déduction.

Dans son arrêt précité, le conseil d’Etat, suivant les principes rappelés par le juge communautaire, est revenu sur son arrêt du 27 juin 2012 (n°350526, Sté Ginger) qu’une société holding qui s’immisce dans la gestion de ses filiales peut déduire intégralement la TVA grevant ses frais généraux, ces derniers étant dans cette hypothèse affectés par nature à l’activité économique déployée par la société. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat confirme que la perception de dividendes n’a aucune incidence.

 

« Et par extension, y-a-t-il eu des bouleversements pour certains secteurs d’activités ? »

Le Conseil d’État a eu l’occasion de faire application des principes rappelés ci-dessus à la situation particulière des EHPAD (CE, 5 octobre 2016, n°390874, Sté Le Parc de la Touques).

A la différence d’une holding mixte, les recettes perçues pas un EHPAD sont, soit taxable de plein droit à la TVA (prestations d’hébergement et prestations liées à l’état dépendance), soit exonérées de TVA (prestations de soins). Dans ce cadre, la déduction de la TVA grevant les dépenses mixtes devrait en principe s’opérer via le prorata de de déduction.

Cela étant et c’est la particularité de l’arrêt du 5 octobre dernier, le Conseil d’État ne s’est pas limité à la nature de dépenses en cause (dépenses mixtes) pour faire une application mécanique du prorata de déduction mais il a pris en compte le fait que le coût de ces dépenses était intégralement répercuté dans le prix des seules opérations imposables.

Précisons, en effet, que les EHPAD sont tenus, par les dispositions du Code de l’action sociale et des familles (CASF), pour la détermination du « prix du forfait soins » d’affecter des dépenses listées par le Code à ce forfait. En d’autres termes, toutes les autres dépenses engagées par un EHPAD qui ne sont pas expressément visées par le CASF sont intégrées de le prix de prestations taxées (hébergement et dépendance).

Dans son arrêt du 5 octobre dernier, le Conseil d’État a ainsi relevé qu’il résultait des CASF que les dépenses d’administration générale des EHPAD, notamment leurs dépenses de fonctionnement et leurs dépenses d’entretien général de leurs bâtiments, sont nécessairement incorporées dans les tarifs afférents à l’hébergement et à la dépendance, soumis à la TVA, et non dans le tarif afférent aux soins, exonéré de TVA.

Le Conseil d’État en déduit que ces dépenses présentent un lien direct et immédiat avec des opérations soumises à la TVA ouvrant droit à déduction, permettant ainsi à l’EHPAD d’opérer une déduction intégrale de la TVA ayant grevé ces dépenses.

Si la position retenue par le Conseil d’État correspond à une logique économique compréhensible sa portée doit, selon nous, être limitée et appréciée au regard des sujétions réglementaires dont relèvent les EHPAD.

En effet, il ressort d’une abondante jurisprudence communautaire que le droit à déduction de la TVA n’est pas soumis à une condition financière imposant aux assujettis de répercuter intégralement le coût de leurs dépenses dans le prix de leurs opérations taxables pour pouvoir déduire la TVA.

Le Conseil d’État a d’ailleurs pris le soin de préciser dans l’arrêt du 5 octobre que « si, en règle générale, la déductibilité n’est que partielle, à hauteur du prorata de déduction, lorsque les biens ou services sont utilisés concurremment pour la réalisation d’opérations taxées et pour la réalisation d’opérations exonérées, elle est intégrale dans l’hypothèse particulière où l’assujetti est tenu de répercuter l’intégralité du coût de ces dépenses dans le prix de ses seules opérations taxées, alors même que les dépenses seraient aussi utilisées pour les opérations exonérées ».

 

« Et enfin, que pourrait nous réserver 2017 ou bien qu’attendez vous de cette année 2017 ? »

Le projet de Loi de Finances pour 2017 prévoit un principe de télédéclaration des achats. Ainsi, les opérateurs pourraient signaler spontanément les achats de biens ou de prestations de services qu’ils effectuent, en précisant pour chaque opération le numéro d’identification à la TVA du vendeur et la base d’imposition à la TVA. L’objectif de cette mesure serait de prémunir les assujettis de leur éventuelle implication dans un circuit de fraude à la TVA.

Cette mesure serait cependant obligatoire pour les achats de biens, grevés de TVA, dépassant un certain montant pour un même vendeur au terme d’une période de trois mois. Le défaut de signalement serait assorti d’une pénalité et non d’une remise en cause du droit à déduction de la TVA correspondante, sous réserve de l’hypothèse où l’acquéreur serait auteur ou complice de manœuvres frauduleuses constitutives du délit d’escroquerie.

Cette pénalité ne serait cependant pas applicable lorsque la TVA correspondante a été régulièrement versée au Trésor Public par le fournisseur.

En ce qui concerne le mécanisme d’autoliquidation de la TVA à l’importation, les nouvelles modalités de mise en œuvre, détaillées notamment dans la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, sont toujours attendues.

En pratique, ce mécanisme d’autoliquidation de la TVA à l’importation devrait être applicable d’une part par les opérateurs économiques agréés (OEA) et d’autre part aux opérateurs remplissant certaines conditions. La condition tenant à la détention d’un agrément à la procédure de dédouanement avec domiciliation unique (PDU) est supprimée et un mécanisme d’autorisation par le service des douanes remplace l’option initialement prévue.

La Commission Européenne s’est pour sa part attelée à des projets ambitieux.

Ainsi, la Commission Européenne a présenté le 7 avril 2016 son plan d’action visant à moderniser la TVA au sein de l’Union Européenne. Ce plan repose notamment sur la mise en œuvre des règles définitives régissant un espace TVA unique dans l’Union. En vertu de ces nouvelles règles, les opérations transfrontières continueraient à être imposées aux taux appliqués par l’État membre de destination (« principe de la destination ») comme c’est le cas actuellement, mais la façon dont la taxe est perçue évoluerait progressivement vers un système plus étanche à la fraude.

La Commission Européenne souligne également la nécessité de mettre en œuvre des mesures à court terme pour lutter contre la fraude à la TVA, de définir des options permettant d’accorder une plus grande souplesse aux États membres en matière de fixation des taux de TVA ainsi que de simplifier les règles de TVA pour le commerce électronique dans le cadre de la stratégie pour un marché unique numérique et pour un paquet TVA complet visant à faciliter la vie des PME.

La Commission Européenne a donc présenté, le 1er décembre 2016, des propositions afin d’encourager le commerce électronique au sein de l’Union Européenne. En premier lieu, la Commission Européenne propose de simplifier les obligations en matière de TVA par la souscription d’une déclaration trimestrielle par le biais du guichet unique, comme pour les services électroniques. En second lieu, la Commission Européenne souhaite simplifier les règles de TVA pour les start-up et les microentreprises de ventes en ligne, notamment pour les ventes transfrontalières d’une valeur maximale de 100.000 €. Enfin, des mesures permettant de lutter contre la fraude à la TVA provenant de l’extérieur de l’Union Européenne ainsi que la possibilité de diminuer le taux de TVA applicable aux publications électroniques sont également envisagées.

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