Le plan d’actions de l’OCDE contre le « BEPS »

Gouthière-Bruno-2-(petite)Bruno Gouthière
Avocat Associé
CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE
Intervenant à la conférence « Lutte contre l’érosion des bases imposables & transfert de bénéfices »  le 24 novembre 2015

EFE propose, le 24 novembre 2015, une conférence sur le plan d’actions préparé par le comité des affaires fiscales de l’OCDE afin de lutter contre l’érosion de la matière imposable et le transfert des bénéfices (ou « BEPS », acronyme de « Base Erosion and Profit Shifting »). Rarement une conférence n’aura été autant d’actualité.

C’est, en effet, le 5 octobre dernier que l’OCDE a dévoilé la version finale de ce plan d’actions, qui se présente comme un ensemble de mesures recommandant une approche internationale et coordonnée de réforme du système fiscal mondial et qui se veut « le plus important remaniement des règles fiscales internationales depuis près d’un siècle ». Les mesures proposées ont fait l’objet d’un accord politique des ministres des finances des pays du G20 lors de leur réunion de Lima, le 8 octobre 2015, et il y a tout lieu de penser que les chefs d’État des pays du G20 vont procéder à leur adoption formelle lors de leur prochain sommet à Antalya, les 15 et 16 novembre 2015. On peut ainsi s’attendre à ce que ces orientations, qui ne sont pour l’instant que de l’ordre de la recommandation, soient traduites en droit positif, au moins pour certaines, soit par des mesures législatives soit par la modification des conventions fiscales internationales.

Le plan d’actions proposé cherche, pour reprendre les termes utilisés par le comité des affaires fiscales de l’OCDE, à fournir aux gouvernements des solutions de portée internationale pour combler les « brèches et irrégularités » contenues dans les règles actuelles en tant qu’elles aboutissent à ce que des bénéfices « disparaissent » ou soient transférés vers des États ou territoires dont la fiscalité est faible ou nulle et où aucune valeur réelle n’est créée. Afin de de « mieux aligner le lieu où les bénéfices sont imposés et celui de l’exercice des activités économiques et de la création de valeur », l’OCDE propose les quinze actions suivantes :

 – Action 1 : relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique ; diverses approches sont analysées mais l’OCDE ne recommande pas de mesure spécifique, à ce stade, estimant que les risques les plus significatifs doivent être traités dans le cadre des autres actions proposées, notamment concernant la fiscalité des éléments incorporels et l’établissement stable (savoir, par exemple, si un entrepôt de stockage utilisé par un vendeur en ligne pourrait constituer un établissement stable) ;

 – Action 2 : neutraliser les effets des dispositifs hybrides ; l’OCDE souhaite limiter les cas de double non-imposition en neutralisant les avantages fiscaux qui découlent des asymétries internationales, en mettant un terme aux déductions multiples au titre d’une même dépense, aux déductions opérées dans un pays sans imposition correspondante dans un autre et à la multiplication des crédits d’impôt étrangers alors qu’un seul impôt étranger n’est acquitté ;

 – Action 3 : concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées ; l’OCDE ne requiert pas, sur ce point, de standard minimum mais propose des options aux pays qui souhaiteraient mettre en place des dispositifs du type de l’article 209 B du Code général des impôts français ;

 – Action 4 : limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et autres frais financiers ; l’OCDE prône une approche commune permettant d’établir un lien direct entre les déductions nettes de charges d’intérêts et le revenu imposable issu des activités économiques de l’entité débitrice (notamment par la mise en place de ratios de déductibilité) ;

 – Action 5 : lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ; en ce qui concerne les régimes fiscaux préférentiels applicables à la propriété intellectuelle, l’OCDE développe une « théorie du lien » (« Nexus approach ») selon laquelle les avantages consentis ne sont acceptables qu’en présence d’une activité significative de recherche et développement dans le pays considéré ;

 – Action 6 : empêcher l’octroi inapproprié des avantages des conventions fiscales ; de nouvelles règles anti-abus sont proposées dans le cadre d’un standard minimum destiné à lutter contre les stratégies de « chalandage fiscal » (« treaty shopping ») par lesquelles une personne qui n’est pas résidente d’un Etat tente d’obtenir les avantages d’une convention fiscale conclue par cet État ;

 – Action 7 : empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable ; la définition de l’établissement stable serait modifiée pour tenter de mettre en échec les stratégies faisant appel à des commissionnaires plutôt qu’à des distributeurs ou celles qui consistent à fragmenter les activités de manière artificielle ; la notion de « pouvoirs d’engager » serait éventuellement élargie pour privilégier une approche « en fait » plutôt qu’« en droit » ;

 – Actions 8 à 10 : aligner les prix de transfert sur la création de valeur ; les recommandations visent à une meilleure mise en correspondance des bénéfices opérationnels et des activités économiques dont ils sont issus et à ne prendre en compte l’allocation contractuelle des risques que si elle correspond aux pratiques réelles de prise de décision et de contrôle effectif des risques ; l’OCDE invite les États à ne pas s’en tenir à une stricte approche strictement juridique de la propriété des incorporels et à ne pas regarder comme « propriétaire » une entité qui est passive et qui n’intervient pas dans la gestion des actifs, leur mise au point ou les améliorations qui y sont apportées ;

 – Action 11 : mesurer et suivre les données relatives au BEPS ; des actions de suivi sont prévues par l’examen des mesures prises par les pays pour adopter les recommandations de l’OCDE ;

 – Action 12 : règles de communication obligatoire d’informations relatives aux schémas fiscaux « agressifs » ; l’OCDE ne propose pas de standard minimum mais des options pour les Etats qui souhaiteraient mettre en place des règles de communication obligatoire d’informations pour lutter contre la « planification fiscale agressive » ;

 – Action 13 : documentation des prix de transfert ; afin d’accroître la transparence et de mieux évaluer les risques en matière de prix de transfert et d’autres pratiques de « BEPS », l’OCDE propose une approche standardisée minimum pour renforcer les obligations déclaratives et recommande la constitution de trois dossiers explicatifs : un dossier concernant le groupe, un dossier national et une nouvelle documentation pays par pays, destinée à être échangée entre les administrations fiscales et à faciliter le contrôle fiscal (« CbCR ») ;

 – Action 14 : accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends ; à cette fin, serait mis en place un standard minium concernant le règlement des différends liés aux conventions fiscales et une clause d’arbitrage serait introduite dans l’instrument multilatéral prévu par l’Action 15 ;

 – Action 15 : élaboration d’un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales ; cet instrument est destiné à permettre aux pays intéressés de modifier le réseau existant de quelques trois mille conventions fiscales bilatérales de manière synchronisée et efficace, sans renégociation bilatérale de chaque convention (un projet de texte est attendu pour la fin 2016).

 Toutes ces propositions seront passées en revue lors de la prochaine conférence EFE, dans la perspective de leur possible introduction en France, éventuellement dès la fin de l’année 2015 notamment en ce qui concerne l’introduction d’une nouvelle obligation de documentation « pays par pays » en matière de prix de transfert.

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