Marchand de biens : la problématique de « portage de TVA »

rémiRémi Castebert
Avocat à la cour
NMW Avocats

Dans un récent jugement en date du 28 janvier 2016 (TA Paris, 28 janvier 2016, n° 1429085/2-3, SNC Omega) ayant fait l’objet d’une déclaration d’appel le 24 mars 2016, le tribunal administratif de Paris a jugé que la TVA grevant le prix d’acquisition, d’un immeuble achevé depuis plus de cinq ans, acheté en vue de sa revente, n’est déductible qu’à la date de sa revente effective et à la condition que cette revente soit soumise à la TVA en application de l’option prévue au 5° bis de l’article 260 du CGI.

Dans cette affaire, la société requérante (ci-après la « Société ») qui exerçait l’activité de marchand de biens, avait acquis un immeuble achevé depuis plus de cinq ans (soit un immeuble ancien au sens de la TVA immobilière) le 30 juin 2014.

Cette vente avait été expressément soumise à la TVA en application des dispositions du 5° bis de l’article 260 du CGI. L’acte de vente mentionnait également la prise d’engagement par l’acquéreur de revendre l’immeuble dans un délai de cinq ans.

Lors de cette acquisition, la Société avait déduit la totalité de la TVA ayant grevé le coût de l’acquisition de l’immeuble, ce qui avait conduit à la constatation d’un crédit de TVA dont la Société avait par la suite réclamé le remboursement.

L’administration avait rejeté cette réclamation au motif que l’immeuble, acquis par la Société et dont la revente été projetée, avait la qualité d’un immeuble ancien, que les ventes de tels immeubles sont exonérées de TVA en application du 2° du 5 de l’article 261 du CGI et qu’ainsi, dans l’hypothèse d’une revente d’un immeuble achevé depuis plus de 5 ans dont l’acquisition a été soumise à la TVA, la taxe grevant l’opération d’acquisition n’est déductible que lors de la revente de l’immeuble et à la condition que cette revente soit elle-même soumise à la TVA.

De son côté, la Société soutenait que la TVA ayant grevé l’acquisition de l’immeuble était déductible en totalité dès l’origine, dans la mesure où elle s’était engagée à revendre l’immeuble dans un délai de cinq ans et à opter pour la TVA lors de la revente.

Le I de l’article 271 du CGI dispose que « La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d’une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. »[1].

C’est précisément afin de satisfaire à l’exigence de lien direct et immédiat, s’agissant d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans et donc en principe sortis du champ d’application de la TVA à défaut d’option dans l’acte de revente, que la pratique a retenu, d’une part, la solution consistant à ce que l’acquéreur prenne dans l’acte d’acquisition l’engagement ferme d’exercer l’option pour la TVA lors de la revente du bien, et d’autre part, la solution consistant à donner en location soumise à la TVA, de plein droit ou sur option, les immeubles anciens acquis dans l’attente de leur revente.

Par ailleurs, le I de l’article 271 du CGI dispose également que « Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. » (C’est-à-dire au cas particulier lors de l’acquisition) et que « La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. ».

Ces dispositions sont complétées par l’article 208 de l’annexe II au CGI qui dispose que « Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu’elle fasse l’objet d’une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l’omission. » et que « Lorsque, sur une déclaration, le montant de la taxe déductible excède le montant de la taxe due, l’excédent de taxe dont l’imputation ne peut être faite est reporté, jusqu’à épuisement, sur les déclarations suivantes. Toutefois, cet excédent peut faire l’objet de remboursements dans les conditions fixées par les articles 242-0 A à 242-0 K. ».

Il résulte donc de la lettre même de l’article 271 du CGI que le droit à déduction naît dès la date de l’acquisition et qu’il doit être exercé dès le dépôt de la déclaration de TVA afférente à la période au cours duquel est intervenue cette acquisition, et il résulte de l’article 208 de l’annexe II au CGI que, dans le cas où le redevable aurait omis d’exercer son droit à déduction, il doit impérativement le faire au plus tard le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l’acquisition en cause.

La position adoptée par l’administration fiscale, qui refuse de reconnaître l’existence du droit à déduction au jour de l’acquisition au prétexte que le lien direct et immédiat ferait défaut dès lors qu’il n’est pas certain à cette date que immeuble ancien fera l’objet d’une revente soumise à la TVA, en dépit de l’engagement pris par l’acquéreur d’exercer l’option pour la TVA lors de la revente sera effectivement effectuée, soulève deux difficultés.

D’une part, en retardant l’exercice du droit à déduction, que ce soit par voie d’imputation et a fortiori dans le cadre d’une demande de remboursement de crédit non imputable, l’administration fait supporter au redevable le coût du portage de la TVA déductible entre la date de l’acquisition et la date de revente effective en TVA.

D’autre part, en prétendant retarder l’exercice du droit à déduction jusqu’à la date de revente, l’administration semble tendre un piège au redevable à qui elle pourrait opposer la péremption du droit à déduction lorsque la revente interviendra au-delà du 31 décembre de la deuxième année suivant l’acquisition.

C’est pourquoi il est regrettable que le Tribunal Administratif de Paris ait validé la position de l’administration fiscale en jugeant que :

« la livraison d’un immeuble achevé depuis plus de cinq ans est en principe exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, de telle sorte que l’achat d’un tel immeuble dans l’intention de le revendre ne peut être regardé comme un élément d’une opération imposable, tant que n’a pas été effectivement exercée l’option de soumettre néanmoins l’opération à la taxe sur la valeur ajoutée qui se lève lors de l’opération de revente ; que, par ailleurs, dès lors que la société a acquis l’immeuble le 30 juin 2014 dans l’intention de procéder à sa revente dans un délai inférieur à cinq ans, elle ne peut sérieusement soutenir que la taxe sur la valeur ajoutée grevant son prix serait déductible à raison de la mise en location de l’immeuble, dans l’attente de sa revente.»

Ainsi, selon ce jugement, ni la prise d’un engagement de soumettre à la TVA la revente du bien, ni la mise en location soumise à la TVA de l’immeuble dans l’attente de sa revente,  ne permettent la déduction immédiate de la taxe supportée lors de l’acquisition de l’immeuble.

Heureusement, il est permis de douter que ce jugement soit confirmée en appel, dans la mesure où il nous semble que la solution retenue ne soit pas satisfaisante au regard du principe de neutralité de la TVA.

Il convient en effet de rappeler que le régime des déductions dans le cadre du système commun de TVA garantit la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (CJUE 14-2-1985 aff. 268/83, Rompelman : Rec. 1985-2 p. 655 ; CJUE 21 septembre 1988 aff. 50/87, Commission c/ France ; CJUE 22 juin 1993 aff. 333/91, SA Satam).

Or, il découle de ce principe de neutralité que lorsque l’administration fiscale a admis la qualité d’assujetti à la TVA d’une société qui a déclaré son intention de commencer une activité économique donnant lieu à des opérations imposables, elle ne peut pas, sauf en cas de situations frauduleuses ou abusives, lui retirer cette qualité de manière rétroactive et remettre en cause le droit à déduction même lorsque la société concernée renonce finalement à réaliser de telles opérations (CJUE 29 février 1996 aff. 110/94, Inzo).

Le droit à déduction de la TVA subsiste même lorsque l’administration fiscale sait, dès la première liquidation de la taxe, que l’activité économique envisagée, qui devait donner lieu à des opérations taxées, ne sera pas exercée (CJUE 8 juin 2000 aff. 400/98, Brigitte Breitsohl).

A l’aune de la jurisprudence de la CJUE, le fait de prendre un engagement ferme de d’exercer l’option pour la TVA devrait autoriser une déduction immédiate de la taxe, dans la mesure où cet engagement constitue l’expression d’une intention de réaliser une opération taxable suffisante pour conférer le droit à déduction immédiate, et le fait de donner l’immeuble en location soumise à la TVA constitue la réalisation d’une opération taxable suffisante pour ouvrir droit immédiatement à déduction, à charge pour l’administration de tirer les conséquences, ultérieurement, d’un cession de l’immeuble hors TVA.

Dans l’attente de la décision de la Cour d’Appel de Paris dans cette affaire, la prudence conduira les professionnels de l’immobilier à s’abstenir de déposer une demande de remboursement de crédit de TVA et à prendre en considération le coût de portage de TVA dans le calcul de rentabilité de leurs opérations immobilières.

[1] Ainsi, le droit à déduction de la TVA ayant grevé des biens acquis par les opérateurs économiques implique que ceux-ci soient utilisés pour la réalisation d’une opération soumise à la TVA. En d’autres termes et selon une position constante de la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE »), la déduction de la taxe d’amont n’est autorisée que lorsqu’est établi un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction de la TVA (exception faite en ce qui concerne le cas particulier des « frais généraux »). Ce lien direct et immédiat présuppose en outre que les dépenses effectuées pour acquérir les biens et les services fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations en aval ouvrant droit à déduction (voir sur ce point, CJUE 8 juin 2000 aff. 98/98, Midland Bank plc ; CJUE 22 février 2001 aff. 408/98, Abbey National plc ; CJUE 27 septembre 2001 aff. 16/00, Cibo Participations SA ; CJUE 26 mai 2005 aff. 465/03, Kretztechnik ; CJUE 8 février 2007 aff. 435/05, Investrand ; CJUE 29 octobre 2009 aff. 29/08, AB SKF ; CJUE 16 juillet 2015 aff. 108/14 et 109/14, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrts).

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Rémi Castebert est avocat au sein des départements fiscal et immobilier du cabinet NMW avocats. Il intervient en matière de fiscalité immobilière et accompagne des groupes de sociétés français et étrangers sur l’ensemble de leurs problématiques fiscales complexes (structurations, audit et opérations de revue fiscale, restructurations, fusions acquisitions, intégration fiscale et international tax planning etc.) et les assiste également dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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