Pactes Dutreil : est-il encore possible de réaliser un FBO en cours d’engagement collectif ?

DesbuquoisJean-François Desbuquois
Avocat associé
Directeur-Adjoint du Département Droit du Patrimoine
FIDAL
Intervenant à la formation « Pactes Dutreil » du 21 mars 2013 à Paris

La pratique désigne sous les termes « Family Buy Out » un schéma de transmission familiale d’entreprise qui s’est développé ces dernières années à l’instigation du législateur.

Les parents, propriétaires de la société à transmettre, concluent un pacte Dutreil sur leurs parts ou actions, puis procèdent à une donation-partage aux termes de laquelle ils attribuent les titres à l’enfant repreneur, ce dernier s’engageant à verser dans un délai, bref si possible, une contrepartie financière (appelée « soulte ») à ses frères et sœurs pour les dédommager à due concurrence.

L’enfant repreneur constitue alors une société holding imposable à l’IS à laquelle il apporte les titres reçus dans la donation et lui transfère la charge de payer les soultes.

Enfin, la holding acquitte les soultes en souscrivant un emprunt bancaire, qu’elle remboursera ultérieurement par des remontées de dividendes de sa filiale en régime mère-fille.

L’opération s’apparente donc à un LBO réalisé dans un cadre familial.

À l’occasion de la loi de finances pour 2009, le législateur avait aménagé le régime des pactes Dutreil pour favoriser ce type de transmission.

Toutefois, la rédaction de l’article 787 B-f qui réglemente cette opération, était approximative puisqu’elle ne l’autorisait, expressis verbis, que pendant la phase de l’engagement individuel de conservation (celui que prend l’héritier à titre personnel de conserver les titres donnés pendant quatre ans). Mais elle avait omis de la permettre expressément pendant la phase de l’engagement collectif de deux ans qui précède et au cours duquel a lieu la donation.

Pour résoudre cette difficulté, la pratique avait trouvé une solution  consistant à créer une holding, répondant aux exigences de l’article 787 B-f, de façon un peu anticipée et à la faire adhérer à l’engagement collectif lors de sa conclusion.

Ainsi dès la donation-partage réalisée, l’apport par l’enfant repreneur pouvait être réalisé au profit de la holding signataire, au titre du principe de liberté de circulation des titres engagés entre les signataires d’un même engagement collectif, prévu tant par l’article 787 B du CGI que par la doctrine administrative.

L’instruction du 9 mars 2012 (Inst. 7 G-3-12 n° 89) confirmait d’ailleurs cette possibilité. Sous le titre « Apports en cours d’engagements collectifs »,  elle indiquait: « il est admis que le régime de faveur n’est pas remis en cause dans l’hypothèse où l’un des signataires apporte des titres à un autre signataire de l’engagement collectif ».

Ce schéma avait donc pris son essor et permettait de réaliser des transmissions familiales harmonieuses dans lesquelles l’enfant repreneur recevait les titres, et indemnisait ses frères et sœurs non intéressés par l’entreprise. Tous les enfants bénéficiaient ainsi du régime des pactes Dutreil, ce qui évitait de créer des disparités fiscales entre eux qui auraient pu être source de désaccord sur l’équilibre du partage.

Le transfert de la doctrine administrative sur la base BOFiP le 12 septembre 2012 a toutefois mis fin de façon inopportune et injustifiée à de tels schémas au moins pendant la phase d’engagement collectif.

En effet, l’Administration a complété le paragraphe sus rappelé de l’instruction du 9 mars 2012 par la précision suivante :

   « … bien entendu, dans ce cas de figure, aucune transmission à titre gratuit ne doit avoir déjà eu lieu… ».

Et elle justifie cette nouvelle position par un renvoi à un autre passage de sa doctrine qui explique que le donataire, qui a bénéficié d’une donation exonérée au titre d’un pacte Dutreil, ne peut plus céder les titres qu’il a reçus aux autres signataires de l’engagement collectif pour demeurer en mesure de respecter son engagement individuel lorsque ce dernier commencera effectivement à courir, à l’issue de l’engagement collectif.

Cette pseudo justification est extrêmement contestable puisque justement l’article 787 B-f  autorise le donataire à faire l’apport des titres engagés à une holding pendant son engagement individuel, sous certaines conditions remplies ici. Il nous parait tout à fait improbable qu’elle reflète l’intention du législateur et cette nouvelle doctrine administrative sera probablement soumise à l’avenir au contrôle du juge qui devra dire si elle n’est pas contraire au texte.

Elle aboutit en pratique à une situation ubuesque :
– l’apport à une holding est possible en cours d’engagement collectif avant la donation . Mais cela ne sert alors à rien dans la mesure où l’enfant repreneur n’a pas encore reçu la donation des titres à apporter.
– puis, il est interdit après la donation et jusqu’à la fin de l’engagement collectif ( le délai restant à courir après la donation peut dans certains cas représenter presque deux ans !)
– puis enfin, l’apport redevient possible en cours d’engagement individuel sous les conditions prévues par l’article 787 B-f.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !

La nouvelle position de l’Administration est très dommageable en pratique.

Pour en limiter les effets sclérosants, l’Administration a imaginé contra legem que le donataire pourrait, dans un premier temps, souscrire à titre personnel un emprunt bancaire pour payer les soultes à ses cohéritiers, puis ultérieurement le transférer à la holding comme charge de l’apport lorsque l’engagement collectif serait achevé.

Ce substitut risque toutefois de rester très théorique car il n’est pas du tout certain que les prêteurs accepteront aussi facilement une substitution de débiteurs.

Les seuls schémas qui demeurent épargnés actuellement sont ceux pouvant bénéficier d’un engagement réputé acquis dans la mesure où l’engagement collectif de deux ans y est réputé avoir été conclu et être achevé. Dès la donation partage faite, le donataire repreneur entre donc dans la phase d’engagement individuel, et peut procéder à l’apport.

Pour les autres dossiers qui ne peuvent pas bénéficier d’un « réputé acquis »,  il sera donc judicieux que les parents anticipent très en amont la mise en place de l’engagement collectif de sorte qu’il soit pratiquement achevé au moment où la donation partage sera réalisée.

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