Abandon de créance consentie à une société étrangère

Article rédigé par Me Jean-Christophe BOUCHARD, Avocat Associé chez NMW Delormeau

Dans un arrêt en date du 13 avril 2018 (CE 13 avril 2018, n°398271 LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton), le Conseil d’Etat juge que l’administration fiscale ne peut déduire le traitement fiscal d’un abandon de créance du traitement comptable qui lui est réservé par le droit de l’Etat où est établi le bénéficiaire de l’abandon.

La déductibilité d’un abandon de créance consentie par une société française à une société étrangère est source de nombreuses interrogations et d’un contentieux fiscal abondant. En effet, un abandon de créance ne sera pas nécessairement traité comme tel par la législation en vigueur dans l’Etat de la société bénéficiaire.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la société Parfums Christian Dior, membre du groupe fiscal intégré dont la société LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton est à la tête, avait prêté à sa filiale américaine LVMH Perfums and Cosmetics Inc. Au titre de l’exercice 2007 la somme de 75 millions de dollars. La société française avait ensuite consenti à sa filiale américaine un abandon de créance pour un montant de 69 millions de dollars, lequel a été déduit de son résultat soumis à l’impôt sur les sociétés français.

Suite à des opérations de contrôle, l’administration fiscale française a réintégré fiscalement un abandon de créance consentie à la société américaine au motif que cette dernière avait comptabilisé cet abandon de créance comme un « apport en capital » non imposable en application de la législation fiscale américaine.

Dans cette affaire, l’administration fiscale française a donc déduit le régime fiscal applicable à l’opération en France du traitement fiscal de cette même opération aux Etats-Unis.

Pour justifier sa position, l’adminsiatrtrion fiscale française s’est également référée à la logique de neutralité dont dépendent les conditions de déductibilité de l’abandon de créance en application de la législation fiscale française qui considère que l’abandon de créance déductible pour la société qui l’a consenti est imposable chez la société qui en a bénéficié.

Par un arrêt du 3 janvier 2013, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la réduction de la fraction des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, lesquelles étaient liées à la réintégration de l’abandon de créance consentie par la société française à sa filiale américaine. Cette solution a été confirmée par un arrêt du 28 janvier 2016, la Cour administrative d’appel de Versailles.

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat censure la position adoptée par l’administration fiscale.

En premier lieu, il rappelle que le juge de l’impôt est compétent pour rechercher la nature réelle d’une opération impliquant une société française et une société régie par le droit d’un autre Etat. Il ajoute que l’administration fiscale française ne peut simplement déduire le traitement fiscal applicable à l’opération visée du seul traitement comptable qui lui est donné par le droit de cet Etat. En procédant ainsi, l’administration fiscale commet effectivement une erreur de droit.

En pratique, cela signifie qu’un abandon de créance peut être déductible en France alors même qu’il ne sera pas imposable à l’étranger en application de la législation fiscale locale.

L’absence d’imposition, dans l’Etat dans lequel est établi le bénéficiaire, n’est donc pas de nature à remettre en cause la déductibilité d’un abandon de créance. Dans les groupes de sociétés, cette solution présente un réel intérêt car, dans une relation purement interne, la solution aurait été fiscalement neutre tandis qu’elle peut conduire à une double exonération dans un contexte international.

En second lieu, le Conseil d’Etat précise que l’abandon de créance consentie à une société étrangère est déductible dès lors que les conditions de déductibilité prévues par l’article 39-13 du Code général des impôts sont remplies. Cela signifie donc que l’élément d’extranéité n’emporte aucune conséquence au regard de la déductibilité d’un abandon de créance. Les sociétés devront, en cas de contestation par l’administration fiscale, apporter la preuve que l’abandon de créance consentie à une société étrangère présente un caractère commercial et relève d’une gestion normale et donc seulement appliquer les conditions de déductibilités posées par la législation fiscale française.

A ce titre, il convient toutefois de rappeler que le Conseil d’Etat n’a pas eu à se prononcer sur la question de savoir si, en l’espèce, l’abandon de créance consentie par la société française à sa filiale américaine était déductible, question de faits qui ne relevait pas de sa compétence à ce stade de la procédure.

La solution retenue par le Conseil d’Etat présente donc un réel intérêt pratique dans un contexte de mondialisation des activités économiques.

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Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Delormeau
Diplômé d’expertise comptable

Intervenant au sein des conférences EFE
Intervenant à la conférence Panorama de la fiscalité immobilière, mardi 19 juin 2018 à Paris

Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW Delormeau. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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