Abus de droit caractérisé : distribution de dividendes concomitante à l’émission d’obligations remboursables en actions (ORA)

Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Avocats
Diplômé d’expertise comptable

 

Dans un arrêt du 13 janvier 2017 (CE 13 janvier 2017 n°391196, SAS Ingram Micro), le Conseil d’Etat retient la qualification d’abus de droit au sens de l’article L. 64 du LPF s’agissant de deux opérations réalisées simultanément, l’une concernant la distribution de dividendes par une filiale française au profit de sa société mère américaine, actionnaire unique, et l’autre relative à l’émission d’obligations remboursables en actions (ORA) au profit de ce même actionnaire, et qui ne se sont traduites par aucun flux financier.

La liberté de financement des sociétés est le corollaire du principe de non-immixtion de l’administration fiscale dans la gestion de l’entreprise reconnu par la jurisprudence (CE 13 juillet 2016 n° 375801, SA Monte Paschi Banque). Cette liberté est admise sous la double réserve que sa mise en œuvre ne contrarie pas l’intérêt social de la société (acte anormal de gestion) et qu’elle ne conduise pas à commettre un abus de droit, comme c’était le cas en l’espèce.

L’abus de droit fiscal énoncé à l’article L. 64 du LPF permet à l’administration fiscale d’écarter certaines opérations fictives ou frauduleuses visant à faire échec à l’application de la loi fiscale. Dans la seconde hypothèse, applicable en l’espèce, l’abus de droit par fraude à la loi suppose la recherche d’un but exclusivement fiscal.

Dans la présente affaire, une filiale française a procédé simultanément à une distribution de dividendes et à une émission d’ORA au profit d’un même bénéficiaire, la société mère américaine et actionnaire unique. Les deux opérations concomitantes ont été conclues pour un montant proche. Au cours des exercices litigieux, la filiale française a déduit les intérêts versés à raison de ces ORA.

L’administration fiscale a remis en cause la déductibilité des charges financières résultant des intérêts versés dans le cadre des ORA souscrites par la société mère américaine, en retenant que la réalisation de ces deux opérations synchrones et d’un montant proche était constitutive d’un abus de droit. Ceci dans la mesure où la distribution de dividendes et l’émission d’ORA n’avaient généré aucun flux financier tout en permettant la déduction des intérêts pendant la durée du contrat d’émission des ORA.

A cet égard, le Conseil d’Etat valide le raisonnement adopté par la cour administrative d’appel de Versailles qui avait estimé que compte tenu du caractère contradictoire et synchrone de ces deux opérations, à savoir la distribution de dividendes et la souscription des ORA par le bénéficiaire des dividendes, et de l’absence de flux financier, ces circonstances révélaient l’intention exclusive de la filiale française d’alléger ses charges fiscales par la déduction artificielle de son résultat fiscal imposable des intérêts relatifs aux ORA.

Il est par conséquent recommandé aux sociétés de faire preuve de prudence en ce qui concerne les montages de ce type d’opération, qui ne se traduisent par aucun flux financier mais qui permettent pourtant d’atténuer les charges fiscales que la société aurait normalement dû supporter, sous peine de voir s’engager la procédure de l’abus de droit par l’administration fiscale.

¤¤¤

Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW avocats. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

Laisser un commentaire