TAXE DE 3 % : LE SEUL DEPOT TARDIF DE LA DECLARATION NE PEUT ENTRAINER L’EXIGIBILITE DE LA TAXE !

Article rédigé par Me Pierre APPREMONT et Me Clarisse LEGAC, Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP
Taxe de 3 % : rappel du principe (article 990 D et suivants du CGI)

Les personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables, français ou étrangers qui, directement ou par personnes interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles en France sont redevables d’une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles[1].

L’objectif de cette taxe n’étant pas son rendement financier mais la connaissance des actionnaires ultimes (pour l’ISF / IFI notamment), les entités peuvent échapper au paiement si elles fournissent ou prennent l’engagement de communiquer certaines informations concernant l’immeuble et les actionnaires, sur demande de l’Administration fiscale. En effet, l’article 990 E, 3° du Code Général des Impôts (« CGI ») dispose que la taxe n’est pas applicable aux entités juridiques « qui communiquent chaque année, ou prennent et respectent l’engagement de communiquer à l’administration fiscale, sur sa demande, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l’identité et l’adresse de l’ensemble des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent, à quelque titre que ce soit, plus de 1 % des actions, parts ou autres droits, ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d’eux ».

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En bref

Dans un arrêt du 6 novembre 2017[2], la Cour d’Appel de Paris a eu à se prononcer sur la question suivante : le dépôt tardif d’une déclaration n°2746 peut-il être sanctionné par le paiement effectif du montant de la taxe ? (ce qui est la position de l’Administration fiscale)

Pour la Cour d’Appel de Paris, la réponse est négative !

Le paiement de la taxe de 3 % est lié à la qualité de redevable de l’entité détentrice des actifs immobiliers. Ainsi, un contribuable qui, en vertu de l’article 990 E du CGI, est exonéré de la taxe de 3 % sous réserve de communiquer chaque année (i) la situation, (ii) la consistance et (iii) la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, ne peut être considéré redevable de l’impôt sur le seul motif que le dépôt de la déclaration est intervenu tardivement (ce qui suppose qu’au vu de ses actionnaires elle est exonérée).

En d’autres termes, le dépôt tardif d’une déclaration n°2746 peut uniquement :

  • entraîner l’exigibilité des pénalités de droit commun en matière fiscale (intérêts de retard et majoration de 10 %) et non le paiement de l’impôt lui-même et ce, qu’il s’agisse ou non d’une première infraction;
  • donner lieu au paiement d’intérêts de retard et de la majoration de 10 %, assise sur le montant des droits effectivement mis à la charge de la société. Or, si le dépôt de la déclaration n°2746 permet à la société de justifier de sa qualité d’entité exonérée de la taxe de 3 %, aucun montant en principal n’est dû et, a fortiori, l’intérêt de retard et la majoration de 10 % ne peuvent pas non plus l’être (absence d’assiette effective).

Point d’attention : l’Administration fiscale peut se pourvoir en cassation !

Pour aller plus loin

L’affaire

Une entité juridique établie au Luxembourg (ci-après la « Luxco ») détenait les parts de SCI françaises, elles-mêmes détentrices d’immeubles en France. La Luxco était exonérée de la taxe de 3 % en vertu de l’article 990 E du CGI, sous réserve de communiquer à l’Administration fiscale, au titre de chaque année, les informations relatives aux immeubles détenus et aux entités interposées et avait déposé des déclarations n°2746 au titre des années antérieures à 2005 ;

  • au cours de l’année 2005, et en l’absence de dépôt de déclaration, l’Administration fiscale a notifié à la Luxco une proposition de rectification portant exigibilité du montant total de la taxe de 3 % ;
  • contestant le bienfondé de cette rectification, la Luxco a saisi le Tribunal de Grande Instance, qui l’a déboutée de ses demandes dans un jugement du 25 juin 2015. La Luxco a fait appel de ce jugement

Position de l’Administration fiscale

L’Administration fiscale considère que :

  • la taxe de 3 % constitue une pénalité applicable en cas non-respect du formalisme déclaratif applicable en matière de détention d’immeubles sis en France ; et que
  • la tolérance visant à permettre au contribuable de régulariser sa situation sous 30 jours en cas de défaut de déclaration ne s’applique qu’en cas de première infraction[3]. Or, la Luxco avait déjà bénéficié antérieurement de la mesure de tolérance au titre d’une première infraction.

Décision de la Cour d’Appel de Paris

La Cour d’Appel de Paris rappelle dans un premier temps que  dans l’hypothèse d’une insuffisance ou d’une absence de réponse dans le délai de 30 jours suivant la mise en demeure de l’Administration fiscale ainsi que dans l’hypothèse d’un dépôt tardif de la déclaration n°2746, il ne peut être fait application que des intérêts de retard (article 1727 du CGI) et de la majoration de 10 % (article 1728 du CGI) dont la base est le montant des droits effectivement mis à la charge du contribuable.

Au cas particulier, la Cour d’Appel de Paris relève que la Luxco avait respecté, de manière tardive, le formalisme déclaratif auquel elle était tenue en communiquant à l’Administration fiscale une déclaration n°2746 le 25 août 2015, et que les informations communiquées à l’Administration fiscale permettaient d’établir la qualité d’entité exonérée de la taxe de 3 % de la Luxco.

Elle en conclut :

  • qu’en toute hypothèse, le dépôt tardif d’une déclaration n°2746 ne peut être sanctionné par le paiement du montant total de la taxe de 3 %;
  • que dans la mesure où la Luxco justifiait, en communiquant les informations à l’Administration fiscale, qu’elle n’était pas effectivement redevable de la taxe de 3 %, l’intérêt de retard ne pouvait pas s’appliquer.

Portée

Le principe posé par la Cour d’Appel de Paris pourrait avoir une portée très large en pratique puisqu’il semble conduire à considérer que le non-respect du formalisme déclaratif de la taxe 3 % ne pourra jamais être sanctionné si l’entité déclarante ainsi que l’ensemble de ses actionnaires ne sont pas effectivement redevables de la taxe de 3 % (statut exonéré de plein droit ou détention de – de 1% de la valeur vénale des actifs immobiliers par les actionnaires finaux).

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Et si la décision de la Cour d’Appel était suivie en cassation ? Quelques pistes de réflexion …

Si la décision rendue par la Cour d’Appel était suivie par les juges de cassation, ou en l’absence de pourvoi de l’Administration (décision définitive) trois cas pourraient être distingués :

1/ En cas de déclaration tardive : si l’entité déclarante est en mesure, lors du dépôt tardif de sa déclaration, de justifier qu’elle bénéficie, avec ses actionnaires directs et indirects, d’un des cas d’exonération de taxe de 3 %, alors aucune sanction ne devrait être applicable, qu’il s’agisse ou non d’un premier défaut de déclaration ;

2/ En cas d’insuffisance de déclaration : l’impact d’une insuffisance de déclaration pose davantage d’interrogations. En pratique, l’approche pourrait être différente en fonction de la nature des informations jugées insuffisantes :

  • si l’insuffisance porte sur la valeur des actifs immobiliers (sous-évaluation par exemple) : la communication des valeurs des actifs immobiliers ne constitue pas un élément essentiel à l’appréciation du bénéfice ou non d’un cas d’exonération. De ce fait, l’entité déclarante, justifiant de son statut exonéré, pourrait ne pas encourir de sanctions ;
  • si l’insuffisance porte sur l’identification des actionnaires:
  • l’entité déclarante ne pourra pas être considérée comme ayant effectivement justifié du bénéfice d’un fondement d’exonération de taxe de 3 % sur l’intégralité de la chaîne de détention ; néanmoins
  • il convient de s’interroger sur la possibilité de déposer une déclaration complémentaire : si les informations sont par la suite communiquées et qu’elles attestent du bénéfice de l’exonération alors, selon le raisonnement de la Cour d’Appel, la taxe de 3 % ne serait pas due et les intérêts de retard et pénalités ne pourraient s’appliquer !

3/ En cas de renseignements erronés : la présente décision ne vise pas le cas de l’erreur, se limitant à préciser qu’une « réponse insuffisante », une « absence de réponse » ou « un dépôt tardif  de la déclaration » sont sanctionnés par l’exigibilité des intérêts de retard et de la majoration de 10 %. De plus, dans un arrêt de 2006, la chambre commerciale de la Cour de Cassation avait considéré que la tolérance administrative n’était applicable qu’en cas de défaut de déclaration et non de déclaration erronée[4]. De ce fait, l’applicabilité du raisonnement de la Cour d’Appel en cas d’erreur demeure des plus incertaines …

Ainsi, si les insuffisances et les erreurs venaient à être traitées de manière différente, cela ferait place à une nouvelle interrogation : quelle est la frontière entre ces deux notions ?

Notamment, par exemple, si une entité déclare non pas ses bénéficiaires économiques mais ses bénéficiaires juridiques : s’agit-il d’une erreur ou d’une insuffisance ?

Affaire à suivre !

Pierre APPREMONT
Avocat Associé
Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP

Intervenant au sein des conférences d’actualité fiscale d’EFE

 

Clarisse Legac
Avocat fiscaliste
Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP

 

 

[1] Article 990 D du CGI.

[2] CA Paris, Pôle 5, chambre 10, n°15/15981 du 6 novembre 2017.

[3] Ce principe est notamment énoncé dans la doctrine administrative réf. BOI-PAT-TPC-30-2017004 n° 20. Au cas particulier, l’Administration fiscale se fondait sur réponse ministérielle Loncle du 13/03/2000.

[4] Cass. Com 02-20.387, 31 janvier 2016 n°154 FS-PB.

 

Pour aller plus loin :

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