Pactes Dutreil : le « réputé acquis » un engagement de plus en plus singulier !

Article de Me Jean-François Desbusquois, Directeur Associé, FIDAL

L’article 787 B-b 4ème alinéa du CGI permet que dans certaines hypothèses l’engagement collectif de conservation de titres, qui doit en principe être souscrit préalablement par l’auteur de la transmission devant bénéficier du dispositif Dutreil, soit « réputé acquis » par l’effet de la loi. Dans cette hypothèse particulière les héritiers ou les donataires qui reçoivent des titres sociaux peuvent donc bénéficier de l’exonération partielle alors même que leur auteur n’avait pas pris la précaution de conclure avant son décès ledit engagement collectif écrit. Et mieux, l’engagement collectif est non seulement réputé avoir existé, mais il est aussi réputé s’être exécuté et avoir été respecté pendant le délai minimum de deux années nécessaire à sa validité, de sorte que les héritiers ou donataires entrent dès la donation ou la succession directement dans la phase des engagements individuels de conservation, ce qui raccourcit le délai global de conservation à leur charge.

Ce mode d’application  suppose toutefois le respect de conditions supplémentaires par rapport au régime de droit commun. Les conditions préalables (la détention de titres représentant au moins 20% des droits financiers et des droits de vote pour une société cotée sur un marché règlementé ou à défaut 34%, ainsi que  l’exercice d’une fonction de direction pendant deux années avant la transmission) doivent avoir été remplies par l’auteur de la transmission exonérée et/ou son conjoint à eux seuls, sans pouvoir prendre en compte la participation d’autres associés contrairement à l’hypothèse de l’engagement collectif écrit préalable à la transmission.

Dès lors que ces conditions particulières sont réunies, l’engagement collectif de conservation « réputé acquis » est donc un dispositif qui peut se révéler très utile pour réaliser une transmission familiale d’entreprise.

Il est donc regrettable que  différents  commentaires administratifs récents contribuent à en limiter de plus en plus les possibilités d’utilisation.

Ils en restreignent d’abord considérablement le champ d’application en refusant que l’engagement réputé acquis puisse bénéficier aux titres de holdings pures (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°260), contrairement au dispositif ordinaire de l’engagement écrit, ou même à celui de l’engagement conclu post-mortem par les héritiers. Dans ces deux derniers il est en effet possible d’appliquer indirectement l’exonération sur les titres de holdings pures dans la limite de deux niveaux d’interposition. On ne voit pas très bien ce qui justifierait qu’il n’en aille pas de même pour le réputé acquis.

Ils le singularisent aussi dans ses effets d’une façon difficilement compréhensible.

Ainsi une réponse ministérielle récente (RM MOREAU n°99759, JO AN du 7 mars 2017, p. 1983)  affirme que contrairement à la règle qui prévaut dans le régime de droit commun (l’engagement collectif écrit) seuls les donataires (et non le donateur) pourraient exercer valablement la fonction de  direction pendant les trois années suivant la transmission. Ceci parait d’autant plus surprenant que c’est bien le donateur qui est réputé avoir exercé valablement la fonction de direction pendant les deux années avant la transmission. On ne voit donc pas pour quelle raison il ne pourrait plus le faire postérieurement.

D’autre part en cas d’augmentation de capital par incorporation de réserves, les titres nouveaux ne pourraient pas être assimilés aux titres anciens auxquels ils se rattachent, remplissant les conditions de l’engagement réputé acquis, et devraient donc être conservés à leur tour pendant deux nouvelles années à compter de leur émission (RM FERON n°72240, JO AN du 2 août 2016, p.7144). Alors que dans le dispositif de l’engagement écrit préalable, les titres nouveaux créés dans les mêmes conditions peuvent assimilés dès leur émission à ceux déjà inclus dans le périmètre de l’engagement collectif (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°120). Ici également on peine à comprendre ce qui peut justifier une telle différence de traitement alors qu’il s’agit de l’application de deux paragraphes du même texte : l’article 787 B.

Ces prises de position administratives contribuent à faire de l’engagement « réputé acquis » un dispositif de plus en plus divergent dans ses modalités de mise en œuvre par rapport au régime général, au risque de briser l’unité conceptuelle des pactes Dutreil . Cette démarche ne renforcera pas la lisibilité d’un dispositif réputé complexe, ni la sécurité juridique des contribuables qui peuvent légitimement se méprendre face à de telles sophistications. Elle ne nous semble pas non plus respecter l’esprit de la loi, qui visait justement à maintenir tous les bénéficiaires des différents modes de mise en œuvre (l’engagement collectif écrit préalable, l’engagement « réputé acquis », et l’engagement conclu post-mortem) dans le cadre d’un seul et même dispositif : l’article 787 B, pour assurer une cohérence globale de régime entre eux.

Jean-François Desbusquois
Directeur Associé, directeur technique national département Droit du Patrimoine
FIDAL
Intervenant à la formation « Pactes Dutreil » du  jeudi 7 décembre 2017 à Paris

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