L’administration fiscale limite l’application des pactes Dutreil « réputés acquis »

Me-Dumont-208x300Grégory DUMONT
Avocat à la cour – département droit du patrimoine
CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE
Intervenant à la conférence « Pactes Dutreil »  le jeudi 8 décembre 2016 à la Maison des Centraliens, Paris 8ème

 

La réponse ministérielle Féron du 2 août 2016 (JOAN page 7144 n°72240) porte sur la possibilité de revendiquer le dispositif des pactes Dutreil « réputés acquis » sur des titres issus d’une augmentation de capital par incorporation de réserves. La position de l’administration fiscale, défavorable aux contribuables, confirme sa volonté de limiter le développement du « réputé acquis ».

Rappelons que le dispositif du « réputé acquis » permet d’éviter la signature d’un pacte Dutreil. Pour que le « réputé acquis » s’applique, l’auteur de la transmission doit détenir depuis deux ans au moins une participation au moins égale à 34% du nombre total d’actions d’une société non cotée et doit être dirigeant de la société depuis plus de deux ans. Autrement dit, comme toutes les conditions étaient remplies depuis au moins deux ans pour que l’auteur de la transmission signe un pacte Dutreil, la loi présume l’existence de ce pacte, qui est de ce fait « réputé acquis ». Lorsque les conditions du « réputé acquis » sont réunies, seule la phase de conservation individuelle de quatre ans doit être respectée par les bénéficiaires de la transmission ainsi que l’obligation de direction, d’une durée de trois ans à compter de la transmission. Le « réputé acquis » est donc plus simple que le régime Dutreil « classique » puisqu’il évite l’enchaînement entre une phase d’engagement collectif de deux ans (le pacte Dutreil) et une phase d’engagement individuel.

Dans le régime Dutreil « classique », impliquant la signature d’un pacte, l’administration fiscale énonce dans sa doctrine en ligne une mesure de tolérance concernant les titres issus d’une augmentation de capital par incorporation de réserves : dès lors que l’attribution d’actions est effectuée aux actionnaires au prorata de leurs droits dans le capital, les nouveaux titres font automatiquement partie intégrante du pacte Dutreil (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-20140519 n°120). Les nouveaux titres peuvent alors être transmis en bénéficiant du régime Dutreil alors même qu’ils n’ont pas été engagés initialement par les associés lors de la signature du pacte : les titres issus de l’augmentation de capital bénéficient donc de la même antériorité dans le pacte que ceux engagés à l’origine par les associés signataires.

La question posée par M. Féron portait sur la transposition de cette tolérance au dispositif des pactes Dutreil « réputé acquis ». Lorsque les conditions du  « réputé acquis » sont réunies, les titres issus d’une augmentation de capital par incorporation de réserves peuvent-ils automatiquement bénéficier de la même antériorité de détention que les titres détenus initialement par l’auteur de la transmission ? L’administration fiscale répond par la négative. Pour que les titres issus de l’augmentation de capital puissent bénéficier du « réputé acquis », elle exige qu’ils soient conservés pendant une durée d’au moins deux ans au jour de la transmission. La durée de détention des autres titres de l’associé ne s’applique donc pas automatiquement aux actions issues de l’augmentation de capital. L’administration fiscale refuse donc de transposer la tolérance qu’elle a portant accepté de mettre en place dans le régime Dutreil « classique » impliquant la signature d’un pacte. Lorsque l’opération est possible, les praticiens pourront conseiller une incorporation de réserves avec augmentation du nominal des titres existants plutôt qu’une émission de nouveaux titres : ainsi l’application du « réputé acquis » ne sera pas perturbée par la création d’actions nouvelles.

La réponse ministérielle Féron marque à nouveau la réticence de l’administration fiscale à favoriser le développement du « réputé acquis ». On peut rappeler que l’administration fiscale refuse déjà dans sa doctrine que le « réputé acquis » soit invocable lorsque l’auteur de la transmission ne détient pas directement la société éligible mais à travers une ou deux sociétés interposées (alors même que cette détention indirecte est possible dans le régime Dutreil « classique »). Elle ne s’est par ailleurs pas prononcée sur la possibilité pour l’auteur d’une transmission par donation de remplir l’obligation de direction à la place des donataires (ce qui est pourtant permis dans le régime « classique »). On ne peut que regretter cette réticence de l’administration fiscale à l’égard du « réputé acquis », difficilement compréhensible par les chefs d’entreprise souhaitant transmettre leur groupe dans le cadre familial.

Enfin, la réponse Féron illustre la complexité actuelle du régime Dutreil transmission puisque le « réputé acquis », à l’origine conçu comme un régime Dutreil simplifié, est devenu un dispositif à part entière, soumis à des règles distinctes de celle du régime Dutreil « classique ». Compte tenu des enjeux pour leurs clients chefs d’entreprises, les praticiens doivent régulièrement mettre à jour leurs connaissances pour ne pas se perdre dans ce dédale de règles parfois incohérentes.

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