TVA immobilière : La taxe afférente à la nue-propriété d’un immeuble acquis par un non-assujetti n’est pas déductible par l’acquéreur de l’usufruit

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rémiRémi Castebert
Avocat à la cour
NMW Avocats

Dans un arrêt en date du 10 décembre 2015 (CAA Nantes 10 décembre 2015 n° 14NT01017 SAS Siform), devenu définitif le 10 février 2015 en absence de pourvoi en cassation, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que la TVA grevant le prix d’un immeuble démembré acquis conjointement par un usufruitier assujetti et par un nu-propriétaire non assujetti n’est déductible que pour l’usufruit assujetti à proportion de la TVA grevant  son usufruit.

Dans cette affaire, la SAS Siform (ci-après « la Société ») ayant pour unique actionnaire  M. Coudé de Foresto a acquis pour 12 ans l’usufruit d’un immeuble à usage de bureaux. La nue-propriété de l’immeuble a été acquise conjointement par les époux Coudé de Foresto à titre patrimonial. La vente de l’immeuble a été soumise à la TVA.

 Suite à l’acquisition de l’usufruit, la Société a mis en location l’immeuble et a exercé l’option prévue au 2o de l’article 260 du CGI afin que les loyers soient soumis à la TVA.

Les époux Coudé de Foresto nus-propriétaires de l’immeuble ont en outre délivré à l’usufruitier une attestation mentionnant la TVA ayant grevé l’acquisition de la nue-propriété de l’immeuble afin que la Société puisse déduire l’intégralité de la taxe ayant grevé l’acquisition du bien.

Les époux se prévalaient du paragraphe no 166 de l’instruction 3 A-9-10 du 29 décembre 2010 alors applicable (reprise par BOFIP-BOI-TVA-IMM-10-30 du 2 mars 2016 n°190 et s.) qui précisait que lorsque la propriété d’un immeuble donne lieu à un démembrement en raison de la cession à un tiers de l’usufruit ou de la nue-propriété, la nue-propriété doit être regardée comme n’étant pas affectée à une activité économique imposable. La doctrine précisant toutefois que lorsque ce droit réel (la nue-propriété) constitue une immobilisation chez son propriétaire de même que l’usufruit pour son bénéficiaire, il y a lieu d’admettre que, dans des conditions analogues à celles prévues à l’article 207, III-3 de l’annexe II au CGI, le nu-propriétaire puisse transmettre le droit à déduction dont il est privé au bénéfice de l’usufruitier dès lors que ce dernier utilise le bien pour des opérations ouvrant droit à déduction.

La Société a déduit la totalité de la TVA ayant grevé l’acquisition de l’immeuble démembré loué et a constaté l’existence d’un crédit de TVA dont elle a demandé le remboursement.

L’administration fiscale estimant que la TVA ayant grevé l’acquisition de la nue-propriété de l’immeuble n’était pas déductible a partiellement fait droit à la demande de remboursement.

Dans l’arrêt commenté, la Société interjetait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes avait rejeté sa demande tendant au remboursement du reliquat de crédit de TVA non remboursé.

La question que la CAA devait trancher était celle de savoir si l’usufruitier qui a opté en application du de l’article 260 du CGI pour l’assujettissement à la TVA des loyers qu’il perçoit à raison de l’activité consistant à donner en location un immeuble de bureaux peut-il déduire, outre la taxe qui a grevé l’acquisition de l’usufruit de cet immeuble, celle qui a grevé l’acquisition de la nue-propriété, qu’il n’a pas lui-même acquittée ?

Dans l’arrêt commenté, la CAA confirme la position du tribunal administratif validant ainsi la position défendue par l’administration fiscale en jugeant que :

« lorsque l’usufruit d’un immeuble de bureaux est acquis en vue d’une exploitation locative soumise sur option à la TVA tandis que la nue-propriété est acquise à titre patrimonial par une personne non assujettie à cette taxe, le droit à déduction de l’usufruitier pour le besoin de ses opérations imposables est limité à la taxe qu’il a lui-même supportée pour l’acquisition du droit d’usufruit de cet immeuble et ne saurait porter sur le montant de la taxe supportée par le nu-propriétaire à raison de l’acquisition de la nue-propriété quand bien même l’immeuble est affecté, dans son intégralité, à l’exercice d’une activité dans le champ d’application de la TVA. »

Dans l’arrêt commenté, pour justifier sa position la CAA énonce que la doctrine administrative que la Société invoquait à l’appui de son argumentation ne trouvait pas à s’appliquer, dans la mesure où les condition permettant d’opérer le transfert de droit à déduction de la taxe au profit de l’usufruitier renvoient aux conditions prévues à l’article 207, III-3 de l’annexe II au CGI qui excluent qu’un non assujetti, c’est-à-dire une personne dont les activités se situent hors du champ d’application de la taxe, puisse délivrer à un redevable l’attestation prévue (CJCE du 11 juillet 1991, aff. C-97/90, 6e ch., Hansgeorg Lennartz). Or les époux pour qui l’opération d’acquisition n’avait qu’un objectif patrimonial ne pouvaient être valablement considérés comme des assujettis. Ils ne détenaient donc aucun droit à déduction et ne pouvaient donc a fortiori le transmettre de quelque façon que ce soit.

Si la solution adoptée par la CAA dans cette affaire n’appelle pas de commentaires particuliers, l’arrêt commenté a le mérite de rappeler que s’il existe des solutions permettant d’optimiser la déduction de la TVA grevant lors d’acquisitions immobilières en démembrement, celles-ci sont soumises à des conditions précises strictement interprétés par le juge de l’impôt.

Les acquisitions d’immeubles d’exploitation démembrés constituent des outils d’optimisation efficaces qui permettent de limiter les coûts pour les entreprises. Lors de la mise en place de telles structurations, il conviendra toutefois de porter une attention toute particulière à la gestion de la TVA grevant l’opération en impliquant uniquement des opérateurs assujettis au risque que les coûts de TVA deviennent des coûts définitifs venant diminuer la rentabilité de l’opération.

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Rémi Castebert est avocat au sein des départements fiscal et immobilier du cabinet NMW avocats. Il intervient en matière de fiscalité immobilière et accompagne des groupes de sociétés français et étrangers sur l’ensemble de leurs problématiques fiscales complexes (structurations, audit et opérations de revue fiscale, restructurations, fusions acquisitions, intégration fiscale et international tax planning etc.) et les assiste également dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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