La transformation d’une SA en SNC ne constitue pas un abus de droit fiscal

jcbouchard-683x1024Jean-Christophe BOUCHARD
Avocat Associé
NMW Avocats
Diplômé d’expertise comptable

Dans un récent arrêt du 15 février 2016 (n°374071, SNC Distribution Leader Price), le Conseil d’État apporte des précisions inédites en matière de procédure d’abus de droit en retenant une interprétation restrictive du critère de « contrariété à l’intention des auteurs d’un texte fiscal ».

Dans cette affaire, la SA Distribution Leader Price (ci-après « la Société ») avait été transformée au cours de l’exercice 1998 en société en nom collectif (ci-après SNC) relevant du régime fiscal des sociétés de personnes prévu à l’article 8 du code général des impôts (ci-après CGI).

Compte tenu de cette transformation, le bénéfice fiscal de la Société avait été directement appréhendé par ses associés à hauteur de leur participation et notamment par la société Asinco sa société mère (ci-après la « Société mère »). Il convient de noter que la Société mère disposait d’une importante réserve de déficits fiscaux reportables suite à la cessation du groupe intégré dont elle était la tête de groupe.

La Société mère a donc imputé ses déficits sur sa quote-part de bénéfice de la Société. Six mois plus tard, les titres de la Société ont été apportés à la société Leader Price Holding soit un an après l’apport des titres des autres filiales de la Société mère.

L’administration fiscale a remis l’opération de transformation/apport en cause, sur le fondement de l’abus de droit. Ceci, au motif que le changement de régime fiscal, combiné à l’apport un an plus tard des titres de la Société à la Société à la société Leader Price Holding, avaient pour unique motif de permettre la compensation des déficits de la Société mère avec sa quote-part dans le bénéfice fiscal de la Société.

Par un arrêt du 22 octobre 2013, la Cour administrative d’appel de Versailles (ci-après CAA) a confirmé l’existence d’un abus de droit fiscal comme l’avait jugé le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise en première instance.

Selon la CAA, l’existence d’un abus de droit pour fraude à la loi étaient démontrée, dans la mesure où il existait, selon elle, un but exclusivement fiscal à l’opération du fait de l’absence d’imposition effective de la quote-part de bénéfice fiscal de la Société revenant à la Société mère, et d’autre part la recherche du bénéfice d’une application littérale des dispositions de l’article 8 du CGI, qui posent le principe d’imposition personnelle des associés d’une société de personnes pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société, à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs.

Pour rappel, en l’état de la législation telle qu’applicable au litige ayant donné lieu à l’arrêt  commenté, pour qu’un abus de droit fiscal pour fraude à la loi soit constitué, deux conditions doivent être réunies. La première a trait à l’existence d’un but exclusivement fiscal et la seconde au fait que l’opération en cause ait été réalisée afin de bénéficier d’une interprétation littérale des textes en contrariété avec l’objectif du législateur (CE 27 septembre 2006 n° 260050 et CE 28 février 2007, n° 284565 « Persicot »). 

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’État censure l’analyse de la CAA au motif que la condition relative à « l’application littérale des textes en contrariété avec l’intention du législateur » et permettant de qualifier une opération d’abus de droit manquait dans les faits de même que la condition relative à l’existence d’un but exclusivement fiscal.

Sur ce premier point, la CAA avait considéré qu’il résultait des travaux préparatoires de l’article 11 de la loi du 30 juin 1923, dont est issu l’article 8 du CGI, que le législateur avait seulement entendu permettre aux associés d’une SNC de bénéficier, pour le calcul de « l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux », des réductions d’impôt pour charges de famille accordées aux autres contribuables pour en conclure que les motivations de la Société dans la mise en œuvre qu’elle avait faite du régime fiscal de l’article 8 du CGI étaient contraires aux intentions du législateur de 1923.

Sur cette question, la Haute Juridiction énonce que si le législateur a eu notamment pour objectif de permettre la prise en compte des charges de famille pour des sociétés de personnes composées de personnes physiques, un recours en 1998 qui ne s’inscrit pas dans cette perspective n’est pas, pour ce seul motif, contraire à l’intention des auteurs du texte, dès lors qu’à cette date, les associés de SNC pouvaient être des personnes morales et bénéficier elles aussi de ces dispositions.

L’analyse adoptée par le Conseil d’État semble logique, dans la mesure où il semblait difficile de soutenir que la Société avait, en l’espèce, cherché à bénéficier d’un régime dont le législateur aurait entendu l’exclure et qu’elle serait ainsi aller « à l’encontre » de son intention. La solution semble donc se fonder sur une interprétation stricte de la loi ce dont on ne peut que se réjouir compte tenu des lourdes conséquences résultant de l’a mise en place d’un abus de droit pour fraude à la loi.

En ce qui concerne la condition éminemment factuelle relative à l’existence d’un « but exclusivement fiscal », le Conseil d’État relève d’abord que la Société avait poursuivi, après sa transformation et jusqu’à son apport à la société Leader Price Holding, son activité économique et que celle-ci avait conservé, même après l’opération d’apport sa forme sociale de SNC.

Il relève ensuite que l’apport des titres de la Société n’avait pas été volontairement différé pour des raisons fiscales dans la mesure où la décision stratégique de réserver l’activité discount à l’enseigne Leader Price n’avait été prise qu’en juin 1999 pour en conclure à l’absence d’un but exclusivement fiscal. Il semble donc qu’en l’espèce, la Haute Juridiction considère que le fait de différer la réalisation d‘une opération n’est pas susceptible en lui-même de démontrer l’existence « d’un but exclusivement fiscal ».

Cette solution est toutefois à rapprocher d’un arrêt récent dans lequel le Conseil d’Etat avait adopté une position contraire, le fait de « temporiser » c’est-à-dire de différer des opérations constituant, selon les termes du rapporteur public dans cette affaire, « la plus élémentaire des artificialités » (CE 8 juillet 2015 n°370656, Sté Peugeot).

On se félicitera de la solution adoptée par le Conseil d’Etat, solution qui démontre l’intérêt du recours aux sociétés de personnes pour les groupes intégrés qui peuvent l’utiliser comme des outils permettant d’optimiser l’utilisation de la réserve de déficits résultant de la cessation d’un groupe intégré.

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Jean-Christophe Bouchard est le fondateur du cabinet NMW avocats. Il jouit d’une forte notoriété en matière de fiscalité immobilière, et notamment pour les questions tenant à la fiscalité des SIIC, OPCI, SCPI, en matière de fiscalité immobilière dans un cadre transfrontalier et en matière de TVA immobilière. Il accompagne également une clientèle composée de groupe français et étrangers, côtés ou non, sur l’ensemble de leurs problématique fiscales (structurations complexes, restructuration, fusions acquisitions, intégration fiscale, international tax planning). Il assiste également ses clients dans le cadre de contrôle fiscal et de contentieux fiscal.

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