Les problématiques de prix de transfert d’aujourd’hui et de demain – itw de Me Gelin et Me le Boulanger

Stephane_Gelin_2012Stéphane GELIN
Avocat Associé
CMS Bureau Francis Lefebvre

 

LeBoulanger_Arnaud_0040Arnaud LE BOULANGER
Avocat Associé – Chef économiste
CMS Bureau Francis Lefebvre
Intervenants à la conférence « Prix de transfert », le jeudi 30 juin 2016 à Paris

Boris Massoutier, responsable des départements Fiscalité etGestion de patrimoine – EFE : les problématiques de prix de transfert sont au cœur de l’actualité fiscale en ce moment sous l’impulsion de BEPS notamment. Quels changements avez-vous pu observer au sein des directions fiscales face à ces nouvelles contraintes et aux risques qu’elles engendrent ? Comment votre rôle de conseil a-t-il évolué ces dernières années ?

Les directions fiscales de la plupart des groupes, confrontés à des enjeux toujours croissants en la matière, ont de longue date placé les prix de transfert au cœur de leur réflexion stratégique. Les évolutions actuelles confirment et amplifient encore cette tendance. Dans ce contexte, les directions fiscales font face à des contraintes antagonistes, entre une légitime recherche de la maîtrise de la charge fiscale des sociétés du groupe, et la nécessité de contenir des risques de plus en plus significatifs, qui tiennent pour partie à l’évolution des normes (avec par exemple une orientation des principes de l’OCDE tirés de BEPS conduisant à un certain nombre de lectures restrictives, quand ces nouveaux principes visant à lutter contre des situations abusives se trouvent appliqué à la généralité de transactions conduites de façon normale), pour partie à l’évolution des pratiques des administrations fiscales (de plus en plus répressives, avec par exemple un usage accru – voire exagéré – de pénalités spécifiques), et pour partie à une équation réductrice souvent faite à présent dans les médias et les corps législatifs entre prix de transfert et évasion fiscale.

Nous observons par ailleurs une préoccupation croissante des directions fiscales causée par l’adjonction, à leur rôle traditionnel, d’un rôle nouveau de « communication fiscale », que viennent amplifier les évolutions récentes que constituent par exemple le « CBCR » (country-by-country reporting), avec des enjeux propres qui supposent un champ de réflexion – voire de compétences – nouveau.

Dans ce conseil, notre rôle de conseil, le plus souvent situé aux côtés des centre de décisions du groupe, a vu sa dimension stratégique s’amplifier encore et devenir aujourd’hui tout à fait prépondérante, tant en matière d’anticipation de ces évolutions que d’accompagnement à l’occasion de leur émergence. Chez bon nombre de clients, cette dimension stratégique, émanant de la direction fiscale, implique à présent souvent la direction financière et la direction générale ou les directions opérationnelles, signe de l’attention accrue que les groupes portent à ces sujets.

Boris Massoutier : quels sont aujourd’hui les principaux chefs de redressement auxquels  vous êtes confrontés ? Et constatez-vous une augmentation des L16 B ?

Nous observons, de façon générale, une activité extrêmement soutenue de l’administration fiscale française (comme de nombre de ses homologues étrangères) en matière de contrôles fiscaux relatifs aux prix de transfert assortis, comme évoqué plus haut, d’un recours amplifié et assumé aux pénalités pour manquement délibéré. Tous types de transactions se trouvent ainsi remis en cause, aussi bien en matière de produits que de services. Citons, parmi les cas de figure de « prédilection », les transactions portant sur les biens incorporels, les relations de toute nature avec des entités bénéficiant (ou soupçonnées de bénéficier) d’un régime fiscal privilégié, et les situations dans lesquelles l’administration observe – ou croit observer – un décalage entre le contenu de la documentation de prix de transfert et la réalité effective des transactions (que ce soit en matière d’application d’une méthode ou de qualifications tirées d’une analyse fonctionnelle). Les cas de réorganisation d’entreprises demeurent eux aussi un facteur d’attention particulier.

Nous avons par ailleurs en effet constaté un recours accru à la procédure de l’article L16 B du LPF. Celui-ci peut intervenir par exemple dans un contexte initial de recherche de l’existence d’un établissement stable, mais débouche aussi, de par les informations saisies à cette occasion, sur des remises en causes spécifiques aux prix de transfert. Cette « judiciarisation » de la fiscalité n’est pas sans soulever des difficultés particulières et nouvelles.

Boris Massoutier : et enfin, que retenez-vous de l’arrêt Amycel rendu le 16 mars 2016  par le Conseil d’État ?

Dans cette affaire, l’administration fiscale fondait son redressement sur la simple constatation de différences de prix entre ceux pratiqués par la société vis-à-vis de sociétés liées et vis-à-vis de clients tiers, sans rechercher si ces derniers exercent des fonctions comparables et sont dans une situation économique comparable aux premières. En faisant droit au pourvoi du contribuable, le Conseil d’Etat a confirmé une nouvelle fois sa jurisprudence constante, illustrée par exemple par l’arrêt « Cap Gemini » de 2005, mettant à la charge de l’administration fiscale de produire une analyse robuste et pertinente de transactions comparables entre sociétés indépendantes à l’appui d’une redressement en matière de prix de transfert, à défaut de laquelle elle ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’avantage consenti par la société vérifiée à une société étrangère liée, et donc du transfert de bénéfices incriminé. Il est assez rassurant – et peu surprenant somme toute – de relever que le Conseil d’État confirme ici que la constatation d’un simple écart de prix, sans analyse de comparabilité, ne constitue pas une preuve en la matière.

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