Panorama Fiscal International : actualité jurisprudentielle

Gouthière-Bruno-2-(petite)Bruno GOUTHIÈRE
Avocat Associé
CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE
Intervenant à la conférence « Panorama Fiscal International »  le mercredi 30 mars 2016

En 2015, l’actualité jurisprudentielle a été particulièrement riche dans le domaine de la fiscalité internationale. Le panorama fiscal international proposé par EFE le 30 mars prochain abordera les décisions les plus importantes, en mettant spécialement l’accent sur celles qui ont des conséquences pratiques immédiates pour les contribuables. Parmi celles-ci, les suivantes retiennent notamment l’attention.

À propos des conditions d’application des conventions fiscales internationales, le Conseil d’État a souligné l’importance de la condition d’assujettissement à l’impôt en jugeant qu’une personne exonérée d’impôt dans un État à raison de son statut ou de son activité ne peut être regardée comme assujettie à l’impôt au sens de la convention fiscale ni, par suite, comme un résident de cet État pour l’application des conventions fiscales (CE 9 novembre 2015 n° 370054, 9e et 10e s.-s., LHV ; CE 9 novembre 2015 n° 371132, 9e et 10e s.-s., Santander Pensiones SA EGFP). Cela ne signifie cependant pas que toute société qui n’acquitte pas effectivement l’impôt devrait se voir automatiquement refuser le bénéfice des conventions, par exemple si elle est en situation déficitaire ; seules sont en effet exclues les entités exonérées « à raison de leur statut ou de leur activité ». Précédemment, le tribunal administratif de Poitiers avait, dans le même sens, refusé d’appliquer la convention fiscale franco-tunisienne à une société tunisienne exonérée d’impôt (TA Poitiers 5 février 2015 n° 1200893, SARL Indigo Yacht).

La territorialité de l’impôt sur les sociétés a également fait l’objet de précisions intéressantes ; on sait désormais, en particulier, qu’il n’est pas contraire au principe de la liberté d’établissement de refuser à une société française tête de groupe le droit d’imputer sur le résultat d’ensemble les pertes subies par des filiales européennes (CE 15 avril 2015 n° 368135, 9e et 10e s.-s., Sté Agapes) ; dès lors, en effet, que seul le mécanisme de l’intégration fiscale permet la prise en compte des pertes de filiales et puisqu’un Etat membre peut ne pas autoriser des filiales européennes à entrer dans un périmètre d’intégration fiscale (CJUE 25 février 2010 aff. 337/08, X Holding BV), une législation qui, comme la législation française, refuse l’imputation en France de pertes de filiales européennes n’est pas critiquable au regard du droit de l’Union européenne.

Dans un domaine voisin, la question des relations financières entre un siège étranger et une succursale française a fait l’objet de précisions inédites ; l’article 57 du CGI, réprimant les prix de transfert, a été jugé applicable à une succursale française qui consent des avances de trésorerie non rémunérées à son siège belge (CE 9 novembre 2015 n° 370974, 9e et 10e s.-s., Sté Sodirep) ; cette décision favorable à l’administration s’avèrera toutefois, le plus souvent, favorable aux entreprises car elle signifie corrélativement qu’une succursale française d’une société étrangère peut déduire en France les intérêts versés au titre de « prêts » qui lui sont consentis par le siège. Cette solution réaliste rend illégale la doctrine administrative qui affirme que, dans ce dernier cas, l’absence de personnalité juridique distincte de la succursale empêche la déduction d’intérêts et n’admet d’exceptions que pour les banques.

Concernant les activités réalisées en France par les sociétés étrangères, le Conseil d’État a aussi précisé les circonstances dans lesquelles l’administration peut, si l’activité n’a pas été déclarée, appliquer la majoration de 80 % pour activité occulte ; elle n’a pas, dans ce cas, à prouver le caractère intentionnel de la dissimulation mais le contribuable est admis, en défense, à justifier que le défaut de déclaration résulte d’une erreur. Si la société étrangère a satisfait à l’ensemble de ses obligations fiscales dans son État de résidence, la justification de l’erreur commise doit tenir compte du niveau d’imposition dans cet Etat et des modalités d’échange d’informations entre les administrations fiscales (CE 7 décembre 2015 n° 368227, Plén., Frutas y Hortalizas Murcia SL).

La portée de la jurisprudence sur les sociétés de personnes étrangères a, par ailleurs, été illustrée par des exemples concrets ; notamment, le Conseil d’État a jugé qu’une société à responsabilité limitée espagnole n’ayant qu’un seul associé (personne physique) devait être traitée, sur le plan fiscal, comme une société de personnes et non pas comme une société de capitaux et que l’administration s’était, en quelque sorte, trompée de contribuable en réclamant l’impôt à la société et non pas à son associé unique, domicilié en France, au titre d’une activité occulte exercée en France (CE 2 février 2015 n° 370385, 3e et 8e s.-s.).

À propos des conditions d’utilisation des crédits d’impôts d’origine étrangère, la « règle du butoir », manifestement perdue de vue par beaucoup, a été rappelée et précisée au cas d’une société française qui avait emprunté, pendant une brève période, des titres italiens à une banque britannique ; la retenue à la source prélevée en Italie sur les dividendes ne pouvait faire l’objet d’un crédit d’impôt en France que sous réserve du respect du principe conventionnel du plafonnement des crédits d’impôt (CE 7 décembre 2015 n° 357189, Plén., min. c/ Crédit Industriel et Commercial). Il y avait donc bien lieu, en l’espèce, de calculer le plafond d’imputation des crédits d’impôt et, pour ce faire, d’appliquer aux revenus de source étrangère l’ensemble des dispositions du Code général des impôts relatives à l’impôt sur les sociétés, ce qui imposait de prendre en compte toutes les charges justifiées directement liées à l’acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ainsi que la rémunération versée au prêteur.

Toujours à propos de la possibilité de tenir compte ou non en France de prélèvements étrangers, il a été jugé qu’une société française était fondée à passer en charges déductibles des retenues à la source étrangères prélevées à tort sur des rémunérations de services imposables seulement en France (TA Montreuil 1er décembre 2014 n° 1301376, SA L’Oréal).

Enfin, divers cas d’abus invoqués par l’administration et liés à l’utilisation de sociétés étrangères interposées ont été examinés au contentieux : confirmation, par exemple, d’un abus de droit au cas de dividendes versés par une société néerlandaise « auto-pilotée » et dont les seuls revenus étaient constitués par des intérêts d’obligations américaines (CE 11 mai 2015 n° 365564, 9e et 10e s.-s., SA Natixis) ; remise en cause d’un schéma de détention d’une société française par des actionnaires résidents de Suisse au moyen de sociétés interposées à Chypre et au Luxembourg (CAA Versailles 8 juillet 2015 n° 13VE01079, Holcim), mais, à propos de la même affaire pour les années antérieures, renvoi par le Conseil d’État d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité, sur ce point, de la loi française au droit de l’Union européenne (CE 30 décembre 2015 n° 374836, 9e et 10e s.-s., Sté Euro Stockage et Sté Enka) ; et, pour finir, confirmation de la non-application de l’article 209 B du CGI au titre de la détention par une banque française d’une sous-filiale à Guernesey et d’une filiale à Hong Kong, dès lors que, compte tenu des circonstances de l’espèce, ces implantations n’avaient pas, pour la société mère, principalement pour objet d’échapper à l’impôt français (CE 30 décembre 2015, 9e et 10e s.-s., Sté BNP Paribas, n° 372522 dans le premier cas, et n° 372733 dans le second).

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