Les travaux des Nations Unies en matière de prix de transfert : vers l’émergence d’un double standard ?

Caroline Silberztein
Avocat Associé, Baker & McKenzie
membre du Sous-comité des Nations Unies chargé de la rédaction d’un Manuel sur les Prix de Transfert à l’attention des Pays en Voie de Développement
Intervenante EFE, formation « Prix de transfert 2012 » 14 et 15 mars 2012, Paris

Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteure, pas nécessairement ceux du Sous-comité des Nations Unies ni ceux du cabinet Baker & McKenzie.

La question des prix de transfert se joue aujourd’hui sur une échelle globale. Au delà des pays OCDE, les pays émergents représentent une part toujours croissante des transactions intra-groupe des entreprises multinationales. La fiscalité internationale et les politiques en matière de prix de transfert passent aujourd’hui par la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie. Or, ces pays sont de plus en plus actifs sur le front des prix de transfert. Le Brésil a développé une approche spécifique qui repose sur des marges fixes prédéterminées. La Russie vient de se doter d’une nouvelle législation prix de transfert, plus proche des principes OCDE que la précédente mais néanmoins non exempte de particularités locales et a exprimé le souhait de mettre en œuvre cette législation via des contrôles renforcés et le développement d’un programme d’accords préalables de prix. La Chine et l’Inde participent activement aux travaux de l’OCDE, mais ont des points de vue bien spécifiques en matière notamment d’incorporels, de pertes, d’économies de localisation.

Les enjeux pour les pays en développement sont très différents : rédaction de la législation de base, formation des inspecteurs, accès aux données comparables dont ils estiment avoir besoin pour mener leurs analyses, étroitesse de leur réseau conventionnel. Les transactions qui les occupent sont souvent relatives à l’exploitation de ressources naturelles. Leurs besoins en matière législative et administrative ne sont pas les mêmes que ceux des pays émergents. Par ailleurs, diverses Organisations Non Gouvernementales se sont saisies du sujet, établissant un lien entre prix de transfert, évasion fiscale et paradis fiscaux ; et entre fiscalité, mobilisation des ressources domestiques des pays et développement.

Il était donc logique que les Nations Unies se saisissent du sujet et projettent la rédaction d’un Manuel Pratique en Matière de Prix de Transfert à l’attention des Pays en Voie de Développement. Il s’agit d’une initiative importante tant pour les pays de l’OCDE et hors OCDE que pour les entreprises multinationales ; pourtant, elle n’a jusqu’à ce jour reçu que relativement peu d’attention de la part de ces dernières.

L’objectif affiché est de « développer un Manuel Pratique sur les Prix de Transfert, sur la base des principes suivants :

a) Qu’il reflète la mise en œuvre de l’Article 9 du Modèle de convention fiscale des Nations Unies ainsi que le Principe de pleine concurrence qui y est énoncé et soit cohérent avec les Commentaires y afférents du Modèle des Nations Unies.

b) Qu’il reflète les réalités des Économies en développement, compte tenu de leurs stades de développement de ressources administratives.

c) Qu’une attention particulière soit apportée à l’expérience d’autres pays en développement.

d) Qu’il s’inspire des travaux menés dans d’autres forums. »

Le Secrétariat des Nations Unies a indiqué disposer d’une certaine latitude par rapport aux Principes OCDE et n’exclut pas de tirer des leçons, par exemple, des marges fixes brésiliennes ou de l’expérience de l’Inde. La finalisation du Manuel des Nations Unies est prévue pour 2012.

Le Manuel est rédigé par un groupe ad hoc d’experts gouvernementaux, universitaires et du secteur privé, qui interviennent tous à titre personnel. Il ne s’agit donc pas d’un groupe intergouvernemental : les experts gouvernementaux ne représentent pas leurs pays et les points de vue qu’ils expriment ne sont pas nécessairement ceux de leurs gouvernements.

Le contenu du Manuel n’est pas finalisé. Il est prévu qu’il traite de certaines problématiques spécifiques aux Pays en Voie de Développement ; mais également qu’il reformule des concepts développés par l’OCDE, notamment en ce qui concerne la comparabilité, les méthodes, les services, les incorporels. Des divergences entre les Principes OCDE et le Manuel apparaîtront nécessairement : divergences non-voulues du simple fait de la réécriture ou divergences assumées sur certains sujets.

Les projets de chapitres sont publiés au fur et à mesure de leur avancement sur le site Internet de l’ONU (http://www.un.org/fr/index.html). Plusieurs organisations du secteur privé de différents pays, dont le MEDEF, ont d’ores et déjà indiqué qu’elles estimaient que le calendrier des travaux et le processus de consultation étaient trop précipités, compte tenu de l’importance des sujets abordés.

Nonobstant l’absence de statut juridique du Manuel, il nous semble que son importance pratique à terme peut être considérable. On observe déjà que certaines administrations de pays non-Membres de l’OCDE font référence au projet de Manuel, avant même qu’une version finale soit disponible. Les entreprises multinationales qui réalisent des transactions entre pays OCDE et hors OCDE risquent donc d’être confrontées à un double standard, voire à une multitude de standards.

Reste à déterminer si les Nations Unies relèveront le défit qu’elles se sont posées : rédiger un Manuel de Prix de Transfert qui aide vraiment les pays en développement. Ceci qui passe probablement par la prise en compte de leurs spécificités et l’encouragement à créer un environnement favorable à la sécurité juridique.

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