Vers une application extensive de la notion de produits financiers accessoires ?Quelle analyse de l’arrêt du Conseil d’État du 21 octobre 2011 n° 315469 SNC Ariane ?

Anne Grousset, Avocat Associé, et Elisabeth Ashworth
Avocat
CMS Bureau Francis Lefebvre
Intervenantes EFE, formation « Panorama fiscal 2011/2012 » 24 et 25 janvier 2012, Paris

La place des produits financiers dans le calcul des droits à déduction des entreprises est déterminée par les dispositions énoncées à l’article 206 III 3 3° de l’annexe II au CGI (anciennement art. 212 b), dans sa rédaction issue du décret du 26 décembre 2005 ainsi que des commentaires de l’administration publiés au BOI 3 A-1-06 du 10 janvier 2006.

À la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 29 avril 2004, « EDM » (C-77/01), outre que l’administration a précisé la distinction qu’il convient d’opérer entre les produits situés dans le champ d’application de la TVA et ceux situés en dehors, elle a alors également modifié les conditions dans lesquelles les produits financiers situés dans le champ de la TVA, mais exonérés, sont à prendre en compte pour la détermination du pourcentage de déduction (coefficient de taxation forfaitaire).

Rappelons qu’antérieurement à cette jurisprudence, les assujettis pouvaient faire abstraction de ces produits financiers accessoires à l’activité principale de l’entreprise lorsqu’ils ne dépassaient pas un montant de 5 % des recettes TTC de l’entreprise. À la suite de l’arrêt « EDM », la doctrine a été modifiée pour admettre que peuvent actuellement être exclus du prorata les produits financiers, dès lors que la réalisation de l’activité financière nécessite une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et services grevés de TVA acquis par le redevable.

En posant ces règles, l’administration a considérablement limité la portée de la jurisprudence de la Cour de justice exprimée dans l’arrêt « Régie Dauphinoise » du 11 juillet 1996 (aff. C- 306/94), jurisprudence suivant laquelle les produits financiers ne présentent pas un caractère accessoire et doivent être pris en compte au dénominateur du rapport servant au calcul du pourcentage de déduction lorsqu’ils présentent un lien direct, permanent et nécessaire avec l’activité principale de l’assujetti. Selon sa doctrine, ce critère n’a pas à être opposé à d’autres redevables qu’aux syndics qui étaient visés par l’arrêt de la CJUE.

Un arrêt récent, en date du 21 octobre 2011, du Conseil d’État fait pourtant application d’une lecture non restrictive de la jurisprudence communautaire et l’applique à une activité autre que celle de syndic.

Le litige portait sur les revenus de placements en bons du Trésor américain, de dépôts bancaires et de contrats d’échange de taux d’intérêts perçus par une société ayant pour activité la location, la gérance et l’exploitation de biens et droits immobiliers pour son propre compte et pour le compte de tiers.

S’appuyant sur les arrêts « Régie Dauphinoise » et « EDM », complétés de la jurisprudence plus récente de la Cour de justice (aff. C-98/07, « Nordania Finanz » du 6 mars 2008 et C-174/08, « NCC Construction » du 29 octobre 2009) , le Conseil d’État considère que l’ensemble des produits financiers de la société doivent être pris en compte pour le calcul du prorata de déduction dès lors, d’une part, qu’ils sont tous situés dans le champ d’application de la TVA et, d’autre part, qu’ils sont indissociablement liés à l’activité économique taxable de la société et en représentent le complément indispensable, direct et permanent au point d’en constituer une condition nécessaire, et cela sans tenir compte de l’utilisation limitée des moyens de la société.

En application de cette décision, doivent être inclus dans le calcul du prorata les produits financiers qui constituent le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité principale de l’entreprise. Cette interprétation a une portée bien plus large que celle résultant de l’interprétation qu’en fait actuellement l’administration. Précisons que l’arrêt a été rendu à propos de la réglementation qui était en vigueur avant l’introduction des dispositions du 3° du 3 du III de l’article 206 de l’annexe II au CGI. Ces dispositions prévalent sur la solution de l’arrêt en tant qu’elles définissent comme accessoires, les opérations financières qui présentent un lien avec l’activité principale de l’entreprise et dont la réalisation nécessite une utilisation limitée au maximum à 10 % des biens et des services grevés de TVA qu’elle a acquis, de même que l’interprétation qu’en a donnée l’administration dans son instruction de 2006.

Sous réserve peut-être du cas des syndics, les entreprises nous paraissent ainsi pouvoir continuer jusqu’à nouvel ordre à faire abstraction des produits financiers pour le calcul du coefficient de taxation forfaitaire lorsque la réalisation de cette activité nécessite une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et services grevés de TVA acquis par le redevable.

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