De l’utilité d’une documentation prix de transfert

Philippe Thiria
Consultant
Ancien directeur fiscal d’Unilever France
Intervenant EFE, formation « PRIX DE TRANSFERT, 8e rencontre annuelle » 29 et 30 mars 2011, Paris

La nécessité de disposer d’une documentation en matière de prix de transfert n’est pas une nouveauté pour les techniciens de ce domaine. La définition d’une politique, le choix d’une méthode et les modalités de la mise en œuvre méritaient d’être retracés dans un ensemble de documents à usage interne et externe. Ce qui est nouveau depuis cette année, c’est que la loi impose une obligation de forme.

I. La nécessité d’une documentation

Les prix de transfert sont, on le sait, les prix des transactions (ventes de biens et prestations de services) réalisées entre deux entreprises « associées », c’est-à-dire le plus souvent appartenant à un même groupe. Ces prix, n’étant pas fixés entre personnes indépendantes, ne reflètent pas toujours les conditions de marché et les administrations fiscales cherchent très légitiment à contrôler que ces pratiques ne permettent pas de transférer hors du pays de la matière taxable. Notons qu’à l’origine les craintes étaient orientées vers les paradis fiscaux mais bien vite l’enjeu s’est avéré purement national, chaque administration défendant l’intérêt budgétaire de son propre pays. Il s’agit donc, on le voit, d’un domaine à part : ce n’est ni un point de droit fiscal, ni de comptabilité, mais il s’agit bien d’une question économique (le prix normal) à conséquences fiscales (le redressement du bénéfice imposable).

La question économique est au cœur des travaux que mène l’OCDE sur le sujet depuis les années 70. Le principe général est que le prix pratiqué entre des entreprises associées doit s’approcher du prix qu’auraient fixé des parties indépendantes. Suivent de volumineux développements sur les analyses à mener, les méthodes recommandées entre lesquelles choisir et les comparaisons à opérer. C’est un travail exigeant et approfondi qu’il faut effectuer et il ne paraît pas anormal que l’entreprise en garde des traces écrites : d’abord pour vérifier la valeur de l’étude, ensuite pour en permettre la continuité lorsque les hommes changent, enfin pour montrer la validité des choix opérés aussi bien à l’égard de l’administration des impôts que d’autres « parties prenantes », telles que les commissaires au comptes.

Dans son ouvrage de base en la matière, « Principes Directeurs en Matière de Prix de Transfert », l’OCDE consacre un chapitre entier à la documentation : elle constate qu’une étude approfondie de la question des prix de transfert doit naturellement conduire à produire des documents de travail, elle incite sagement les entreprises à rassembler tous les documents utiles à un dialogue fructueux avec le fisc mais précise que tout ceci ne doit pas entrainer un fardeau administratif excessif à la charge du contribuable.

II. Quelle utilité d’un modèle obligatoire de documentation ?

L’OCDE écarte l’idée d’un modèle car, dit-elle, les justifications en matière de prix de transfert dépendent des circonstances propres à l’entreprise. Au contraire, certaines organisations régionales ont décidé d’imposer/proposer un modèle type : imposé par PACA (Canada + USA + Australie, etc.) et proposé par le Forum européen des prix de transfert.

Le législateur français a élu une voie moyenne : le modèle est obligatoire mais il est assez général pour couvrir la diversité des activités économiques. La documentation doit être préparée à l’avance selon le modèle imposé et remise au vérificateur lors de sa première visite dans l’entreprise. Le modèle liste les éléments que doit obligatoirement comprendre la documentation et les répartit en deux niveaux : celui du groupe dans son ensemble et celui de la société vérifiée. Les éléments portent sur l’activité déployée, les structures juridiques et opérationnelles, les opérations intra-groupes, les fonctions exercées par chaque entité puis sur les politiques et méthodes de prix de transfert.

Si l’on peut critiquer le caractère obligatoire de la présentation à la première visite, assortie de sanctions sévères, on peut aussi relever le caractère positif du modèle. Il permet, en effet, à l’entreprise de se présenter et de présenter son approche prix de transfert de la façon la plus appropriée sans avoir à remplir des questionnaires standard qui ne correspondent pas à ses caractéristiques, car elle-seule connaît bien sa situation et prendre la parole en premier apporte l’avantage de la clarté et de la pédagogie à l’égard du vérificateur. Si la vérification conduit à des phases de procédures ultérieures (commission départementale/nationale, interlocution, contentieux…), la documentation « modèle » permettra à chacun des nouveaux interlocuteurs de prendre connaissance à la fois du contenu de la documentation et des efforts déployés par l’entreprise dans sa gestion des questions de prix de transfert.

En somme, si l’obligation nouvelle est assortie d’une charge administrative non négligeable et de sanctions lourdes, ce qui reste regrettable, elle peut aussi receler quelques avantages.

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