La « QPC » en matière fiscale

Pierre Collin
Rapporteur public
Conseil d’État
Intervenant EFE, formation « Panorama fiscal 2010/2011 » 25 et 26 janvier 2011, Paris

L’article 61-1 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et dont les conditions d’application ont été précisées par une loi organique du 10 décembre 2009, prévoit que tout justiciable peut soutenir, à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative ou judiciaire, qu’une disposition législative “porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit”. Si la question est jugée suffisamment sérieuse par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, qui jouent un rôle de filtre lorsque la question est soulevée devant les juridictions du fond, elle est renvoyée au Conseil constitutionnel qui peut alors, s’il juge l’argumentation fondée, abroger la disposition législative en cause.

Cette nouvelle procédure, en vigueur depuis le 1er mars 2010, a suscité un grand espoir chez certains avocats fiscalistes, qui ont cru voir s’ouvrir un nouveau champ de possibilités contentieuses. Mais l’expérience des premiers mois de vie de la « QPC » conduit à tempérer cet enthousiasme. Les premières décisions rendues par le Conseil Constitutionnel montrent en effet que la procédure ne devrait pas pouvoir être suivie pour obtenir la censure de violations de dispositions constitutionnelles qui ne trouvent pas leur équivalent dans le droit conventionnel, de sorte que le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception des lois fiscales ne devrait pas couvrir un champ plus large que le contrôle de conventionnalité qui s’est développé à la suite de l’arrêt Nicolo.

I – L’espoir déçu d’une ouverture à des questions non susceptibles d’être posées dans le cadre du contrôle de conventionnalité.

Dès lors qu’il était clair, dès la mise en place de la nouvelle procédure, que celle-ci n’avait pas pour objet de permettre la censure d’éventuelles violations de la procédure parlementaire d’adoption des lois, la principale originalité de la « QPC » par rapport au contrôle de conventionnalité résidait, pouvait-on penser, dans possibilité d’un contrôle du respect, par les pouvoirs législatifs et réglementaires, de leur domaine respectif de compétence.

La décision SNC Kimberly Clark du 18 juin 2010 (n° 2010-5 QPC) a douché cet espoir en jugeant que “que les dispositions de l’article 14 de la Déclaration de 1789, mises en œuvre par l’article 34 de la Constitution, n’instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqués, à l’occasion d’une instance devant une juridiction, à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution”. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’abstention du législateur conduit à ce qu’il soit porté atteinte à un droit ou à une liberté garanti par la Constitution autre que le respect de l’article 14 de la DDHC que le Conseil constitutionnel admet qu’un moyen tiré de l’incompétence négative soit soulevé devant lui (cf. CC 22 septembre 2010, n° 2010-33 QPC, Société Esso SAF).

De même, si certains requérants avaient cru que la procédure pourrait permettre un contrôle formel de la loi au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et intelligibilité du droit, le Conseil a jugé, dans sa décision du 22 juillet 2010 (2010-4/17 QPC M. Alain C. et autres) relative à l’indemnité temporaire de retraite Outre-Mer, que, si cet objectif, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution.

II – Une procédure vouée, en matière fiscale, à concurrencer le contrôle de conventionnalité.

Les premiers mois d’existence de la nouvelle procédure montrent que celle-ci ne conduira, en matière fiscale, à soumettre au Conseil constitutionnel que des questions de respect de droits ou libertés déjà garantis par le droit communautaire ou par la CEDH, sa force par rapport au contrôle de conventionnalité ne résidant, de ce fait, que dans son caractère prioritaire.

Deux exemples peuvent être cités pour illustrer le propos.

Le premier est lié au contrôle du respect par le législateur du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt. Le Conseil d’État a ainsi renvoyé au Conseil constitutionnel, par une décision du 24 juin 2010 SAS Football Club de Metz (n°338581), la question de savoir si, en mettant la taxe sur les salaires à la charge des seuls personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires, les dispositions de l’article 231 du CGI ne méconnaissent ledit principe. Par une décision du 17 septembre 2010 (n° 2010-28 QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 231 du CGI conforme à la Constitution. On peut observer qu’à ce jour, le Conseil constitutionnel, à une exception près (CC 14 octobre 2010, n°2010-52 QPC, Compagnie agricole de la Crau), a rejeté toutes les demandes d’abrogation de dispositions législatives à caractère fiscal dont il a été saisi.

Le second est lié au contrôle des lois de validation. Par une décision du 16 juillet 2010 (n°339899), le Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution, notamment aux articles 8, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du III de l’article 27 de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, qui a pour objet de valider, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, les prélèvements spécifiques aux jeux des casinos exploités en application de la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos, dus au titre d’une période antérieure au 1er novembre 2009, en tant qu’ils seraient contestés par un moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire. Par une décision « Société Plombinoise de casinos » du 14 octobre 2010 (n° 2010-53), le Conseil constitutionnel a jugé la disposition de validation conforme à la Constitution.

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